Un étrange ver armé de tentacules ayant vécu il y a un demi-milliard d’années élucide un mystère de l’évolution

Un fossile découvert dans les schistes de Burgess jette un éclairage neuf sur l’origine des hémichordés

Artistic reconstruction of Gyaltsenglossus senis

TORONTO/WASHINGTON, le 27 août 2020 – Des travaux récents, réalisés par des chercheurs du Musée national d’histoire naturelle du Smithsonian, du Musée royal de l’Ontario (ROM) et de l’Université de Montréal, ont mis à jour les fossiles d’une nouvelle espèce marine, Gyaltsenglossus senis (prononcer Gène-zé-gloss-us senis). L’animal ranime un débat qui fait rage depuis longtemps chez les zoologistes : quels liens unissent, sur le plan de l’anatomie, les deux principales classes qui composent le groupe des hémichordés ? Les fossiles découverts, datant de plus d’un demi-milliard d’années, ont été retrouvés sur un site des schistes de Burgess, dans les Rocheuses canadiennes. Cette découverte est décrite dans l’article publié le 27 aout 2020 dans la revue scientifique Current Biology.

La découverte de Gyaltsenglossus senis s’avère importante, car les chercheurs ne s’entendent pas sur les débuts de l’évolution des hémichordés. En effet, ce fossile apporte la preuve directe que les entéropneustes et les ptérobranches, les deux grands groupes d’hémichordés, sont apparentés.

Quoi qu’ils ne se ressemblent guère, les entéropneustes et les ptérobranches entretiennent des liens de parenté étroits, comme le démontre l’analyse de l’ADN des espèces contemporaines. De manière générale, la place de Gyaltsenglossus dans l’évolution des hémichordés nous en apprend un peu plus sur les origines d’un groupe d’animaux plus important appelé « deutérostomiens » (dont l’être humain fait partie). Le fossile nous éclaire sur les traits communs qui existaient peut-être, tôt dans leur évolution, entre les deutérostomiens et les hémichordés.

Les entéropneustes sont de longs vers fouisseurs qui vivent dans la vase des fonds marins. On en trouve encore aujourd’hui dans tous les océans de la planète, des tropiques à l’Antarctique. Le second groupe d’hémichordés, les ptérobranches, se compose pour sa part d’animaux microscopiques formant des colonies. Chaque individu s’abrite dans un tube qu’il sécrète et se nourrit de plancton grâce à une couronne de bras tentaculaires.

« Les entéropneustes et les ptérobranches diffèrent tant que les zoologistes s’interrogent depuis toujours sur la nature des liens qui les unissent sur le plan de l’évolution, explique Karma Nanglu (Ph.D.), titulaire de la bourse de recherche postdoctorale Deep Time de Peter Buck au Musée national d’histoire naturelle du Smithsonian et auteur principal de l’article. Jusqu’à présent, la quasi-inexistence de fossiles d’hémichordés, animaux au corps mou, nous empêchait d’éclaircir le mystère. Le nombre de spécimens exceptionnellement bien préservés se compte sur les doigts d’une main, même si les hémichordés existent depuis un demi-milliard d’années. »

Les fossiles de Gyaltsenglossus mesurent à peine deux centimètres de longueur, mais leurs tissus mous sont si bien conservés qu’ils révèlent leur anatomie avec une incroyable précision. On remarque notamment la trompe ovale (proboscis ou gland) des entéropneustes et une série de tentacules alimentaires, similaire à celle des ptérobranches. L’âge des fossiles et la remarquable combinaison de caractères morphologiques des deux grands groupes d’hémichordés donnent à cette découverte une importance capitale, car elle nous aide à mieux comprendre l’évolution primitive des hémichordés.

« On avait déjà émis l’hypothèse d’un animal très ancien dont l’anatomie se situerait entre celle des entéropneustes et celle des ptérobranches, et ce nouveau spécimen nous rapproche encore plus de cet ancêtre imaginaire des hémichordés, affirme Christopher Cameron (Ph.D.), professeur agrégé à l’Université de Montréal et co-auteur de l’étude. Disposer d’une telle multitude de détails anatomiques pour formuler de nouvelles hypothèses sur l’évolution des hémichordés est tout simplement fascinant. »

On doit la préservation exceptionnelle de l’anatomie de Gyaltsenglossus aux conditions environnementales uniques des schistes de Burgess. Les animaux aujourd’hui disparus qu’on y trouve ont été enfouis à la vitesse de l’éclair par des glissements de terrain sous-marins. Grâce à une combinaison de facteurs, notamment la décomposition plus lente des dépouilles par les bactéries, les fossiles présents dans les schistes de Burgess ont été préservés avec une fidélité qui surpasse de loin celle des gisements fossilifères habituels.

« Depuis qu’on les a découverts, voici plus d’un siècle, les schistes de Burgess ont joué un rôle déterminant en nous aidant à comprendre l’évolution des formes primitives de la vie », déclare Jean-Bernard Caron (Ph.D.), co-auteur de l’article, conservateur Richard M. Ivey de paléontologie des invertébrés au ROM et professeur agrégé à l’Université de Toronto. En 2010, M. Caron dirigeait l’expédition qui a permis de récolter les 33 fossiles de Gyaltsenglossus.

« Sur la plupart des sites, on peut s’estimer heureux d’exhumer les parties les plus solides de l’animal, les os et les dents, par exemple. Dans les schistes de Burgess, les tissus les plus mous peuvent y être fossilisés dans leurs moindres détails, poursuit M. Caron. Cette nouvelle espèce souligne l’importance de la quête de nouveaux fossiles afin d’élucider les énigmes les plus tenaces de l’évolution. »

Dans ce cas particulier, Gyaltsenglossus laisse croire que l’ancêtre des hémichordés se serait alimenté en employant les stratégies propres aux deux groupes contemporains. À l’instar des entéropneustes, il se peut qu’il se soit nourri dans la vase marine, riche en éléments nutritifs, avec sa longue trompe tout en se servant, comme les ptérobranches, de ses six tentacules pour saisir, durant sa reptation, les particules en suspension dans l’eau au-dessus de lui.

Les hémichordés appartiennent à un important embranchement du règne animal appelé « deutérostomiens », dans lequel figurent les chordés, tels les poissons et les mammifères. Cet embranchement se distingue de celui des protostomiens, qui regroupe les arthropodes et les annélides comme les vers de terre. Selon M. Nanglu, quand on examine Gyaltsenglossus, on contemple en réalité un parent extrêmement lointain de notre propre embranchement, dans l’histoire des vertébrés et de l’être humain.

« Les étroites relations qu’entretiennent les hémichordés avec les chordés, groupe auquel nous appartenons, sont l’une des premières choses qui m’ont incité à les étudier, reprend M. Nanglu. Comprendre les liens anciens qui rattachent des animaux comme les poissons, voire l’être humain, à leurs cousins éloignés que sont les oursins et les entéropneustes, par exemple, est un champ d’étude extrêmement intéressant de l’arbre de l’évolution, ce que fait ressortir Gyaltsenglossus. »

C’est Charles Walcott, alors secrétaire de la Smithsonian Institution, qui a découvert les schistes de Burgess en 1909. Ces gisements fossilifères, situés dans les parcs nationaux Yoho et Kootenay, sont gérés par Parcs Canada.

Parcs Canada est fier de collaborer avec des scientifiques de renom pour enrichir le savoir et nous aider à comprendre cette période capitale dans l’histoire de la Terre, de même que partager ces sites avec le reste de la planète grâce à des randonnées guidées ayant gagné plusieurs prix. L’UNESCO a ajouté les schistes de Burgess au Patrimoine mondial en 1980 en raison de leur valeur exceptionnelle pour l’humanité. Les schistes font désormais partie du site plus vaste des Rocheuses canadiennes, également inscrit au Patrimoine mondial.

Les fouilles menées aux schistes de Burgess en 2010 ont été en partie financées par le Service des bénévoles du Musée royal de l’Ontario. Ces spécimens et d’autres, également découverts dans les schistes de Burgess, seront exposés dans la future Galerie Willner Madge de l’aube de la vie du Musée. Pour en savoir plus sur les schistes de Burgess, visitez le site Web primé que leur a consacré le ROM à l’adresse https://burgess-shale.rom.on.ca/fr.

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Illustrations : Reconstitution artistique de Gyaltsenglossus senis, le montrant tel qu’il devait être quand il arpentait le fond de l’océan pour extraire sa nourriture de l’eau avec ses tentacules. À l’arrière-plan, le même ver, accroché au fond marin par la base, tentacules déployés vers le haut pour se nourrir. À droite, spécimen entier de Gyaltsenglossus senis (ROMIP 65606.1) fossilisé. Au sommet, on aperçoit toute la longueur de la trompe (proboscis ou gland) et ses six bras lui servant à s’alimenter. Illustration d’Emily S. Damstra © Musée royal de l’Ontario pour les deux illustrations.

 

Cambrian tentaculate worms and the origin of the hemichordate body plan
Current Biology
DOI: https://doi.org/10.1016/j.cub.2020.07.078

 

 

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