L’art japonais d’après-guerre
Publié
Catégorie
L’ART JAPONAIS D’APRÈS-GUERRE
Le ROM a récemment reçu un don de 192 estampes japonaises modernes et contemporaines des années 1950 à 2000, ainsi que 24 céramiques et objets laqués, de la succession de feu Shozo Uno et Edward « Ted » Johnston de Toronto.
Partenaires de vie pendant plus de 50 ans, Uno et Johnston ont toujours été de grands amateurs d’œuvres d’art japonais. Ils ont collectionné un grand nombre d’estampes, de céramiques, de laques, de poupées et autres objets tout au long de leur vie.
Leur collection d’estampes, qui représente 111 artistes, se distingue par son ampleur taille et sa diversité – deux caractéristiques essentielles à la compréhension des œuvres sur papier japonaises des années 1950 aux années 1990. Après la défaite du Japon lors de la Seconde Guerre mondiale en 1945, la gravure s’impose comme le genre par excellence du développement de l’art japonais moderne.
Les estampes modernes ont d’abord été collectionnées par des officiers américains au Japon pendant la période d’occupation (1945-1952). Après la guerre, les objets d’art jouent un rôle important dans la reconstruction économique du Japon.
S’appuyant sur la tradition de l’estampe de la période Edo (1603-1868) et sur la popularité à l’international de ces estampes, les Américains en sont venus à considérer la gravure comme un art propre au Japon. Les graveurs et éditeurs japonais ont vite fait de répondre à ce nouveau marché étranger. Leurs œuvres sont très prisées entre les années 1950 et la fin du 20e siècle, remportant des prix prestigieux lors de biennales et de concours internationaux. Grâce à leur prix abordable et à leur diversité, les œuvres sur papier ont séduit un grand nombre de collectionneurs de la classe moyenne aux États-Unis, dont les collections se trouvent aujourd’hui dans de nombreux musées, notamment l’Art Institute of Chicago, le Brooklyn Museum et le Philadelphia Museum of Art.
Suite de l'article
Sans les efforts soutenus de certains collectionneurs américains, ces estampes japonaises n’auraient pu acquérir une telle réputation sur le marché de la gravure moderne. Originaire de Belfast, en Irlande du Nord, Johnston s’est installé au Canada dans les années 1950. Uno est né et a grandi au Japon. Il a immigré au Canada dans les années 1960, une trajectoire extraordinaire pour un jeune Japonais appartenant à la communauté 2SLGBTQ+. Les deux hommes se sont rencontrés à Toronto dans les années 1960 et ont rassemblé une vaste collection d’estampes modernes qui était l’exprssion non seulement de leurs préférences personnelles, mais aussi des circonstances socio-historiques de la fin du 20e siècle.
La diversité des œuvres et des artistes représentés dans cette collection enrichit considérablement le fonds d’estampes japonaises du ROM, qui compte près de 3 200 estampes (principalement des périodes Edo et Meiji), la plus grande collection du genre au Canada et l’une des plus belles en Amérique du Nord. Cette collection nous aide à comprendre les aspects sociaux de l’art et des échanges culturels, ainsi que la réception et la perception de l’art japonais à l’étranger.
Parmi les 111 artistes représentés dans la collection d’Uno et Johnston, 11 sont des femmes. Au Japon, la gravure est un genre traditionnellement dominé par les hommes, mais l’après-guerre a vu l’émergence de plusieurs graveuses, dont Reika Iwami (1927-2020).
Dans leur ouvrage intitulé Collecting Modern Japanese Prints, Then & Now, Mary and Norman Tolman affirment que ses compositions audacieuses, ses abstractions et ses surfaces en relief ont valu à Iwami d’être la première artiste japonaise à obtenir la même reconnaissance à l’international qu’un artiste masculin. Outre sa démarche artistique, Iwami a piloté la fondation de la Joryū Hanga Kyōkai (Association des graveuses) en 1956, la première du genre, qui a joué un rôle décisif dans le rayonnement des femmes artistes accomplies. Les styles novateurs et modernes de ces artistes ont repoussé les limites de la longue tradition japonaise de la gravure.
Dans l’œuvre reproduite ci-dessus, Iwawi, qui était également une poète haïku, livre une abstraction audacieuse dans un camaïeu de noir rehaussé de feuille d’or sur fond gaufré. Intitulée Incision d’eau B, la gravure est empreinte de puissance et de poésie, évoquant des souvenirs ambivalents.
Les estampes de cette collection seront présentées au rez-de-chaussée du Musée dans le cadre d’installations renouvelées.
Akiko Takesue
Akiko Takesue est conservatrice adjointe Comité Mgr White des arts et cultures du Japon au ROM.