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L’IA peut-elle nous aider à décoder la communication des cachalots ?
Photo du cachalot

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Histoire naturelle

Le langage a longtemps été considéré comme l'une des caractéristiques qui distinguent l'homme des autres espèces animales.

Le langage a longtemps été considéré comme l’une des caractéristiques qui distinguent l’homme des autres espèces animales. Or, selon des recherches récentes, contrairement à ce que nous pensons, le « langage » ne serait peut-être pas le propre de l’homme. De nombreuses espèces communiquent également à l’aide de sons. Beaucoup de ces sons sont relativement faciles à comprendre, comme les signaux d’avertissement ou territoriaux de nombreux oiseaux et mammifères, mais c’est le répertoire acoustique complexe des baleines qui est l’un des plus fascinants. 
 

Les baleines sont les seuls mammifères à partager avec l’humain un cerveau de grande taille et d’une grande complexité structurelle. On ne peut que spéculer sur l’intelligence des baleines, mais le cachalot et l’orque sont presque ex aequo pour ce qui est du plus gros cerveau de tous les animaux. Leur cerveau peut peser plus de 9 kilogrammes (le cerveau humain moyen pèse 1,4 kilogramme). Malgré leur forte taille, ces deux cétacés ne figurent pas parmi les baleines les plus grosses. Une grande taille ne garantit pas un gros cerveau. À preuve : les dinosaures sauropodes. 
 

Outre la grosseur du cerveau d'une baleine, la surface du néocortex est ridée ou pliée, ce qui la rend très dense – un trait partagé avec les humains et qui est généralement associé à l’intelligence. En fait, certaines baleines présentent un plissement cortical (aussi appelé gyrification) supérieur au nôtre. Depuis les années 1960, les scientifiques cherchent à déterminer s’il s’agit de l’intelligence des baleines. Ils ont analysé les répertoire vocaux des baleines et tenté quelques expériences de communication entre des humains et des baleines (principalement des dauphins).

Si certaines recherches ont été utiles, elles n’ont pas permis de comprendre ce qu’est une véritable communication interactive. En outre, la question principale, à savoir si certaines espèces de baleines possèdent un langage qui leur est propre, reste sans réponse. L’essor de l'intelligence artificielle (IA) et les logiciels complexes de modélisation du langage semblent sur le point d’apporter une contribution majeure à la réponse à cette question.

Ces dernières années, le traitement du langage naturel a radicalement transformé nos idées sur les possibilités de l’IA. Des outils comme ChatGPT, entre autres, peuvent composer des récits à multiples facettes et même écrire des programmes informatiques à partir d’un minimum d’informations fournies par l’utilisateur. Les algorithmes développés au cours des dix dernières années peuvent effectuer la traduction simultanée d’une langue à une autre sans intervention manuelle ni dictionnaires.

Fondé en 2020, le projet CETI (Cetacean Translation Initiative) est une organisation à but non lucratif ayant pour but d’écouter, d’observer et éventuellement de traduire le langage des cachalot grâce à l’apprentissage automatique avancé, l’IA et la robotique.
 

Deux cachalots

Les cachalots ont été choisis parce que, comme nous, ils sont très sociaux et disposent d'un système de communication complexe.

Les cachalots ont été choisis parce que, comme les humains, ils ont un comportement très grégaire et et un système de communication complexe.

Dans les Caraïbes, des groupes de cachalots femelles et leurs petits peuvent être observés toute l’année au large de la Dominique. Les sons émis par les individus peuvent donc être enregistrés à répétition, tout en documentant l'activité de la baleine au moment où elle émet un son en particulier. Cette population d’étude est idéale car elle permet de recueillir les grandes quantités de données acoustiques et observationnelles nécessaires à l’apprentissage automatique.

Contrairement aux baleines à bosse, qui émettent de longs chants mélodiques, les cachalots produisent des salves de clics à large bande. Au 19e  siècle, les baleiniers avaient donné aux cachalots le nom de « poissons-charpentiers » car ils pouvaient entendre la série de clics à travers la coque de leurs navires en bois. Si la plupart des signaux des cachalots servent à l'écholocalisation, ils produisent également des séquences variables de clics, appelées codas, qui joueraient un rôle crucial dans leurs interactions sociales. Ces codas peuvent varier dans le nombre, le tempo et le rythme des clics, ce qui peut permettre une plus grande complexité si les cachalots ont la capacité de les combiner de différentes manières.

Il s’avère que c’est le cas. Comme ces gammes de vocalisations ressemblent à des éléments musicaux, on leur attribue des termes musicaux : intervalle, rubato et ornementation. L'intervalle inter-clics est une façon de mesurer le tempo dans une série de notes, ou « clics ». Le rubato fait référence à un changement volontaire de rythme, tandis que l'ornementation fait ici référence à l’ajout de fioritures (pensez à un « clic » supplémentaire sur une coda qui se produit d’une manière unique).

Au cours des dernières années, le projet CETI a collecté d’énormes quantités de données bioacoustiques à l’aide de bouées captives et de robots aquatiques semi-autonomes. Le CETI a publié des résultats préliminaires dans la revue Nature Communications. Ces résultats montrent que les populations de cachalots, dont on pensait jusqu'àlors que leur répertoire ne représentait que 21 codas distinctes, sont nettement plus expressives, leurs codas se chiffrant à 156. « Nous avons découvert que les vocalisations des cachalots sont beaucoup plus complexes qu’on ne le pensait, avec une structure combinatoire jusqu’alors inconnue et une modulation des vocalisations en fonction du contexte » explique Pratyusha Sharma, auteure principale de l’article. Le CETI a également identifié des variations dans le rythme et les fioritures, à l’instar des termes musicaux utilisés. Pour le moins, les cachalots disposeraient d’un alphabet phonétique, c’est-à-dire des éléments rudimentaires du langage.

C’est l’un des rares exemples où ce que l’on croyait être une capacité strictement humaine a été découvert chez une autre espèce de mammifère. Les chercheurs reconnaissent que leur travail ne fait que commencer. Les recherches futures porteront sur d’éventuels motifs dans la structure des codas et à les associer aux activités des baleines, à l'aide de l’apprentissage automatique et de l’IA. Même si nous n’arrivons pas encore à parler aux cachalots, nous nous rapprochons du jour où nous le pourrons.

Oliver

Oliver Haddrath est technicien des collections d’oiseaux au ROM.

Jacqueline Miller est technicienne des collections de mammifères au ROM.

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