Gros plan sur Luisa Roldán
Hommage à l’une des artistes les plus accomplies de l’Espagne et la première sculptrice reconnue du pays
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La figure de saint Michel dans la collection du ROM
La figure de saint Michel dans la collection du ROM est l’œuvre de l’artiste baroque Luisa Roldán (1652-1706), la première sculptrice reconnue d’Espagne. Véritable exploit dans l’Espagne du 17e siècle, où les femmes artistes n’ont pas voix au chapitre.
À l’époque de Roldán, il est interdit aux femmes de fréquenter les académies et de suivre un apprentissage. Les guildes leur sont donc fermées. Selon les normes genrées et l’idéologie de l’époque, la place de la femme se limite à la sphère privée, soit accomplir ses devoirs de femme et de mère ou d’entrer en religion.
Cela dit, en pratique, les attentes sociales des femmes dépendent largement de la situation socio-économique de la famille. Comme de nombreuses femmes artistes de la Renaissance et de l’époque baroque, Roldán est issue d’une famille d’artistes. Son père, Pedro Roldán (1624-1699), est un sculpteur de renom qui exploite un atelier spécialisé dans la fabrication de sculptures religieuses en bois polychrome comme le Saint Michel dans la collection du ROM.
C’est dans l’atelier de son père que Roldán affine sa maîtrise du dessin, de la peinture et de la sculpture sur argile et sur bois. Dès leur jeune âge, l’artiste et ses frères et sœurs travaillent en collaboration avec les apprentis masculins à tous les aspects de cet atelier prospère. Roldán compte parmi les artistes les plus accomplis de l’atelier.
C’est dans l’atelier de son père qu’elle rencontre son futur mari Luis Antonio de los Arcos, lui aussi apprenti. Son père s’opposant au mariage, Roldán en appelle aux autorités de l’Église pour obtenir l’autorisation de l’épouser. Le couple se marie en 1671.
À l’âge de 19 ans, l’artiste quitte la maison familiale pour celle de ses beaux-parents – situation inusitée à l’époque. Catherine Hall-van den Elsen, une des grandes spécialistes de l’œuvre de Luisa Roldán, a émis l’hypothèse que la situation tient peut-être à la déception de Pedro qui, à l’apogée de sa carrière, perd l’un des artistes les plus doués de son atelier. Il n’est pas certain que le couple ait continué de travailler pour Pedro. Mais dès 1677, Luisa et Luis Antonio obtiennent leurs propres commandes et finissent par établir un atelier où Luisa s’impose sculptrice principale. En 1688, la réputation grandissante de Roldán incite la famille à s’installer dans la cité impériale de Madrid. Elle perfectionne sa technique de sculpture en bois polychrome et crée de petits objets de dévotion en terre cuite destinés à la cour d’Espagne, à la bourgeoisie et au marché domestique alors en plein essor.
Probablement réalisé dans les années 1670, le Saint Michel du ROM est l’œuvre la plus ancienne de l’artiste dans une collection nord-américaine. De tels objets de dévotion sont très prisés à Séville. Réalisés sur commande, ils sont destinés aux autels publics ou privés ou encore aux chars allégoriques dans le cadre de processions et de fêtes religieuses pour lesquelles Séville est réputée.
Bien que sa provenance reste à déterminer, la sculpture est représentative des œuvres de jeunesse de l’artiste réalisées alors qu’elle vivait dans le sud de l’Espagne. À l’époque, elle commençait à se faire connaître pour ses petites figures destinées à des autels dans des chapelles privées et des couvents. Cette statuette annonce le dynamisme de l’une de ses sculptures les plus célèbres réalisée en 1692 pour la cour de Charles II : une sculpture en bois polychrome grandeur nature représentant saint Michel terrassant un démon.
Surmontant les limites sociales imposées aux femmes artistes, Luisa Roldán connaît un succès non négligeable de son vivant. En 1692, elle reçoit le titre de « sculptrice de chambre » et elle est nommée sculptrice officielle à la cour de Charles II de Habsbourg. À la mort de ce dernier en 1700, Roldán entre au service de son successeur Philippe V de Bourbon – position qu’elle conservera jusqu’à sa mort en 1706. Cette même année, elle reçoit la médaille de mérite de la prestigieuse Accademia di San Luca à Rome, pour son importante contribution à la sculpture. Elle est largement reconnue comme un des plus grands noms de la sculpture espagnole.
Jennifer Kinnaird
Jennifer Kinnaird est spécialiste des collections européennes au ROM.