Une relation contradictoire

Les paysages industriels de Garth Lenz sont des témoignages essentiels de l’impact profond de l’activité humaine sur la planète. Ces photographies primées sont autant de commentaires sur la beauté planétaire, la méfiance croissante à l’égard des médias et les effets de l'Anthropocène.

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Photographie
Art et culture
Biodiversité

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Phillip Dwight Morgan
Phillip Dwight Morgan est un journaliste, poète et chercheur basé à Toronto. Ses essais, articles d'opinion et interviews ont été publiés sur macleans.ca, cbc.ca, rabble.ca et dans les magazines Briarpatch et Spacing.

Lorsqu'une équipe de scientifiques du groupe de travail sur l'Anthropocène

Les recherches du Groupe de travail sur l’Anthropocène sur le « clou d’or » marquant le début de cette soi-disant nouvelle époque géologique les ont conduits au Crawford Lake, un lac petit mais profond situé près de Milton, en Ontario. Les caractéristiques physiques rares du bassin, en particulier son rapport profondeur/surface, empêchent la couche supérieure et la couche inférieure de se mélanger et en font un candidat idéal pour l’étude. Chaque année, deux nouvelles couches sédimentaires se forment au fond du lac Crawford et restent intactes en raison de l'absence de mélange dans l’eau. En prélevant une carotte dans cet environnement bien préservé, les scientifiques étaient à même d’examiner et de déterminer le début de l’Anthropocène, une époque géologique marquée par l’augmentation massive de la population humaine et des émissions de dioxyde de carbone.

Les photos primées des paysages naturels et industriels de Garth Lenz dressent le constat de l’Anthropocène. Grâce à l’œil exercé de Lenz, les spectateurs sont fréquemment transportés vers des sites qui portent indubitablement les cicatrices profondes de l’activité humaine. De la déforestation au Yucatan attribuable au tourisme haut de gamme à l’extraction du cuivre à Bingham Canyon, dans l’Utah, en passant par les sables bitumineux de l’Alberta, les images de Lenz témoignent de l’impact social et écologique irréversible des industries extractives.

Un abîme sans fond a pour sujet la mine de Bingham Canyon, la plus grande mine de cuivre à ciel ouvert du monde. Dans la photo de Lenz, un énorme cratère occupe le premier plan tandis qu’à l'arrière-plan, une chaîne de montagnes éclairée par le soleil matinal et habillée des rouges et jaunes des arbres en automne se découpe sur un ciel d’un bleu éclatant. D’imposants chemins miniers serpentent le long des sites d’excavation, tandis que le canyon au loin offre un contrepoint et un relief. Comme dans tant d’autres de ses paysages industriels, Lenz livre ici une scène à la fois étrange et envoûtante.

Infrastructure oblige, nous sommes en fait obligés de participer malgré nous à la création de produits de consommation dont nous déplorons la dévastation et l’injustice sociale.
Garth Lenz

Une relation contradictoire

Comme de nombreux photographes qui documentent la dégradation et la destruction de l’environnement, Lenz s’est vu reprocher que l’éclat et la beauté de ses clichés risquaient d’atténuer la gravité de la situation. En réponse, il souligne que la beauté invite souvent une interrogation plus approfondie de l’image, de son sujet et de soi.

Rappelant l’une de ses images préférées, un bassin de résidus dans lequel se reflètent un ciel bleu et des nuages blancs, qui, en y regardant de plus près, révèle un tourbillon de bitume qui le traverse, Lenz déclare : « J’ai l'impression que ce genre d'images reflète plus précisément le type de relation contradictoire que nous entretenons avec les projets d’extraction d’envergure... La plupart d’entre nous décrient cette dévastation et ces impacts, mais en même temps, nous apprécions les avantages que ces ressources nous procurent. »

Lenz note également que les systèmes dont nous dépendons limitent souvent notre capacité d’agir.

« Infrastructure oblige, nous sommes en fait obligés de participer malgré nous à la création de produits de consommation dont nous déplorons la dévastation et l’injustice sociale. »

À l'instar de l’image du bassin de résidus, Un abîme sans fond invite les spectateurs à contempler non seulement l’héritage environnemental de la mine, dont la contamination des aquifères locaux, mais aussi, dans une perspective d’avenir, ses implications à long terme par rapport à la dépendance croissante de l’Ontario en matière des systèmes électriques tributaires du cuivre.

Vue de l'une des cinq mines de charbon à ciel ouvert d'Elk Valley, en Colombie-Britannique.

Des preuves irréfutables

Dans sa quête pour dresser le constat de nos paysages changeants, Lenz souligne l’importance de documenter la destruction de l’environnement à une époque marquée par la désinformation et la méfiance à l’égard des médias.

Selon le Rapport Reuters 2023, entre 2016 et 2023, le niveau de confiance envers les médias au Canada est passé de 55 % à 40 %.

Avec le déclin de la confiance envers les médias et les attitudes à l'égard des services d’information financés par l'État, M. Lenz estime que les images de paysages industriels sont des témoignages essentiels.

« Vous pouvez conduire pendant des centaines de kilomètres le long d'une route et ne pas vous rendre compte que derrière la rangée d’arbres se cache une énorme coupe à blanc ou une énorme mine. Une vue aérienne est la seule façon d’apprécier pleinement l’envergure de la situation, ajoute-t-il. Je pense qu’en cette époque de désinformation et de méfiance, un tel témoignage est, d’une certaine façon, plus difficile à réfuter.

Depuis des décennies, Garth Lenz fait appel à sa grande créativité et à ses compétences pour attirer l’attention sur les paysages naturels et industriels. Ses images appellent les spectateurs à s’interroger sur la beauté, la destruction, l’infrastructure et la complicité, tout en constituant d’importantes sources documentaires. Elles rendent compte des immenses déplacements sociaux et écologiques et de la dévastation de l’Anthropocène. Elles demandent aussi aux spectateurs de réfléchir au tourbillon de bitume qui dénature un reflet ou à une mine à ciel ouvert occupant le premier plan d’un panorama pittoresque. Lorsque le langage des bassins de résidu normalise et naturalise le fléau, Lenz nous rappelle l’importance du vocabulaire – visuel et textuel.

En savoir plus

Les photographies primées de Garth Lenz

Alors que la déforestation mondiale et les forêts anciennes du monde étaient des thèmes majeurs dans les premiers travaux de Lenz, ces dernières années, la plupart des photographies de Lenz se sont concentrées sur le monde de la production de combustibles fossiles, le changement climatique et leurs impacts associés sur l'environnement naturel. Le contraste entre les paysages industriels et naturels reste un thème central dans le travail de Lenz.

Facebook, Instagram : @garth.lenz

Suivre Garth Lenz

Suivez Garth Lenz en ligne à l'adresse www.garthlenz.com et sur Facebook et Instagram @garth.lenz.

Phillip Dwight Morgan est un journaliste, poète et chercheur de Toronto. Ses essais, articles d'opinion et interviews ont été publiés sur macleans.ca, cbc.ca, rabble.ca et dans Briarpatch et Spacing.

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