Leslie McCue : Déconstruire les stéréotypes, favoriser la sensibilité culturelle et partager le savoir
Entretien avec la gestionnaire de l’apprentissage et des programmes autochtones au ROM
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Au lieu d'un bébé, Leslie McCue a bercé un requin en peluche.
Leslie McCue tient dans ses bras non pas un bébé, mais une peluche requin.
Nous sommes en 2018. Leslie, membre de la Première Nation des Mississaugas de Curve Lake, travaille comme éducatrice autochtone au Musée. Elle se trouve dans la Galerie Daphne Cockwell consacrée aux arts et aux cultures des Premiers Peuples. Elle montre à un groupe de visiteurs comment se servir d’un tikinagan – un porte-bébé en langue anishinaabemowin. Faute de bébé, elle utilise la peluche pour la démonstration.
C’est alors que les pleurs d’un bébé se font entendre.
Les parents se confondent en excuses et s’apprêtent à quitter la galerie. La situation ne dérange absolument pas Leslie.
« J’aime que les visiteurs se sentent à l’aise d’amener leurs enfants dans la galerie, dit-elle. Je veux que les jeunes se sentent en sécurité, dans un endroit où ils ont leur place. »
Elle demande aux parents s’ils acceptent que leur bébé participe à la démonstration du tikinagan. Ils sont d’accord et lui tendent le bébé. Elle dépose soigneusement l’enfant dans le tikinagan, laçant les lanières de cuir de part et d’autre de l’enveloppe.
« Lorsque je suis arrivée au dernier œillet, le bébé avait arrêté de pleurer. J’ai donc pu poursuivre ma visite guidée de la Galerie des Premiers Peuples avec le bébé dans le tikinagan. »
Lorsque Leslie rend le bébé à ses parents, il dort profondément.
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C'est, selon Leslie, son souvenir ROM préféré
C’est son souvenir préféré du ROM. Au cours de sa carrière d’une dizaine d’années au Musée, où elle est passée de membre du Cercle consultatif autochtone à gestionnaire de l’apprentissage et des programmes autochtones, elle a enseigné à des dizaines de milliers de personnes et rassemblé des douzaines de souvenirs, nombre d’entre eux heureux, d’autres moins heureux.
Voici notre entretien…
Vous semblez accorder beaucoup d’importance aux corrélations interculturelles. Pourquoi ?
Déconstruire les stéréotypes et favoriser la sensibilité culturelle sont au cœur de ma démarche. Dernièrement, nous avons accueilli des visiteurs étrangers qui n’avaient jamais entendu parler des pensionnats pour autochtones. Ils n’avaient jamais entendu parler des injustices dont les Autochtones sont victimes à Toronto ou dans nos communautés. La Galerie des Premiers Peuples les a laissés bouche bée. Ils croyaient que c’était chose du passé. À mon avis, il est important que des médiatrices culturelles autochtones puissent partager leur histoire et leur vécu.
Nous sommes parfois les premières à renseigner les visiteurs sur la rafle des années 1960, les pensionnats, les femmes autochtones disparues et assassinées, et beaucoup plus encore. Certaines personnes ne connaissent rien des obstacles que les Autochtones rencontrent tous les jours. Les histoires de réussite et de résilience se font rarement entendre.
C’est sans doute très éprouvant sur le plan émotionnel ?
Le travail est sans conteste très exigeant sur le plan émotionnel, mais il est aussi gratifiant. Il est important pour moi que les éducatrices autochtones se réservent du temps pour elles, participent aux événements communautaires et tissent des liens. Nous allons mettre en œuvre un programme d’Ainé.e.s en résidence qui apporteront leur soutien à l’équipe.
J’ai l’impression que chez vous l’enseignement est à la fois une passion et une vocation. D’où vient cette passion ?
J’ai souvent été témoin du manque de connaissances sur les Premiers Peuples. Les médias ne sont pas toujours les meilleurs véhicules d’information à ce sujet, mais ils sont parfois les seuls. Les propos sur les Autochtones sont souvent diffamatoires. J’ai toujours pensé qu’il était de mon devoir d’enseigner et de partager mes connaissances. Nos parents, nos grands-parents et celles et ceux qui nous ont précédés n’avaient pas toujours ce privilège. Au Canada, de nombreux aspects de nos cultures et modes de vie étaient illégaux : danser, parler notre langue, participer aux cérémonies, se réunir et plus encore. C’est mon devoir d’être fière de qui je suis, de le promouvoir auprès des groupes scolaires qui visitent le Musée. Les éducatrices doivent être fières de qui elles sont. Nous nous devons d’être à l’aise dans des endroits comme les musées. Il n’y a rien de mal à prendre sa place.
En plus de travailler ici, vous êtes également artiste et interprète.
Vous travaillez aussi comme artiste. Parlez-moi de ce côté de vous.
Certaines personnes dans notre communauté commencent à danser dès leurs premiers pas. Avant même de marcher, nous reconnaissons le rythme et la cadence. Le battement de tambour représente pour nous le battement de cœur de notre mère la Terre, la terre sur lequel nous marchons. Ces choses vous les sentez dans le sein de votre mère. Vous entendez ce battement de cœur. Vous entendez ce même battement dans nos chants à la naissance.
Je danse depuis un jeune âge. Je suis membre du collectif Odawa Wiingushk, qui signifie foin d’odeur d’Ottawa. Le foin d’odeur compte parmi les quatre médecines sacrées de la région. Il est utilisé dans le cadre du rituel de purification. Nous l’avons également intégré à la murale du Musée réalisée par le Conseil des jeunes du ROM.
Je danse parce que certains de mes ancêtres n’avaient pas le droit de le faire ou, lorsque plus âgé.e.s, ne se sentaient pas à l’aise de danser. Je danse pour inspirer les jeunes dans ma famille et ma communauté, et pour celles et ceux qui ne sont pas en mesure de le faire. Dernièrement, ma cousine m’a dit, « Je veux danser. Peux-tu m’aider à fabriquer mon costume d’apparat ? » C’est un des plus beaux jours de ma vie. J’étais très fière de la voir intégrer le cercle de danse, fière de la femme anichinabée qu’elle est.
J’ai la nette impression que vous ne mâchez pas vos mots. Le Musée vous a remis un prix pour votre courage. Je ne suis donc pas le seul à avoir cette impression. Mais je suis curieux de savoir comment vous vous percevez.
Je me considère comme une mentor, comme quelqu’un qui prône le changement. Je ne recherche pas les éloges. La tâche est loin d’être terminée. La reconnaissance du ROM et de mes collègues me fait chaud au cœur.
Je suis toujours un peu mal à l’aise de recevoir des éloges. Je ne serais pas rendue où je suis sans celles et ceux qui m’ont enseigné et appuyé dans ma démarche. Je ne veux pas pleurer, mais Sara Roque-baa, qui n’est plus de ce monde, a agi comme conseillère au ROM. Elle était une amie chère et une mentor. J’net AyAyQwaYakSheelth et Wendy Ng, qui m’ont fait entrer au Musée ; Denise Bolduc, Elwood Jimmy, Raven Cotnam et Jillian Sutherland, qui continuent de m’appuyer. Des personnes comme Sara-baa qui n’hésitaient pas à se faire entendre afin de faire en sorte que leurs voix retentissent dans des lieux où normalement les Autochtones n’avaient pas leur place. Ces personnes m’ont ouvert la voie.
Ces personnes ont-elles influencé votre décision de faire du mentorat ?
Certainement. C’est aussi la façon de faire de notre culture. Nous admirons nos Aîné.e.s, nous admirons nos grands-parents, nous admirons les gens plus âgés dans notre communauté parce que c’est leurs savoirs qui nous ont ouvert la voie. Leur résilience, leur force, leur détermination nous ont permis d’occuper des lieux comme celui dans lequel nous nous trouvons.
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Cette conversation a été abrégée pour des raisons de longueur et de clarté.