Le magnifique plafond en mosaïque du ROM
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le premier dôme en mosaïque au Canada réalisé par une entreprise canadienne
Première mosaïque d’envergure au Canada à avoir été réalisée par une entreprise canadienne, le magnifique plafond du ROM suscite l’admiration. Rehaussé de personnages aux couleurs vives sur fond doré, à la manière des mosaïques d’inspiration byzantines de Venise, le plafond livre un message universel qui va au-delà des mosaïques à thème unique. Encyclopédique, comme le Musée qui la loge, la mosaïque exprime « l’unité dans la diversité ».
En 1933, le ROM a ajouté une autre aile à son édifice et installé un dôme mosaïqué au-dessus de l’entrée de la Rotonde. Le cabinet d'architectes Chapman et Oxley a conçu la nouvelle aile dans le style néoclassique de l’époque. Le contrat pour la mosaïque a été attribué à la société récemment établie Connolly Marble, Mosaic and Tile Company, qui se spécialisait dans la réalisation de mosaïques vénitiennes. Les lettres de la société Connolly conservées dans les archives du ROM expliquent que les matériaux (des carreaux de verre de qualité supérieure ou smalti) ont été importés d’Italie, probablement de Venise, et découpés en tesselles avant d’être assemblés dans l’atelier de Toronto par des « artisans italiens accomplis ».
La conception de la mosaïque ornée de symboles des civilisations du monde, depuis les Premiers Peuples des Amériques jusqu’au Moyen Âge européen, considéré comme l’apogée de l’art lorsque le style byzantin prévalait, a fait l’objet de discussions. Charles Trick Currelly, archéologue à l’emploi de l’Université de Toronto et l’un des fondateurs du ROM, pourrait être à l’origine de cette thématique. Cela dit, la paternité du dessin n’a jamais été revendiquée. La documentation de Connolly fait référence à « l’architecte et au concepteur » ainsi qu’aux modifications au dessin et à la palette de couleurs entrainées par le choix final d’un fond doré. Il est fort probable que le programme artistique soit celui du cabinet de l’architecte Alfred H. Chapman, qui avait étudié pendant deux ans à l’École des Beaux-Arts de Paris. Cependant, comme le plan original a été modifié, le produit final peut avoir été le fruit d’une collaboration, tout comme l’image centrale portant l’inscription biblique. La participation des mosaïstes n’est pas à écarter.
Mais une autre question fondamentale se posait : qui étaient les artisans italiens qui ont réalisé la mosaïque dans l’atelier Connolly au 235 College Street ? Un heureux hasard nous a conduits, Angelo Principe (Ph. D.), mon associé de recherche de l’époque, et moi-même, à de fascinantes découvertes. Au milieu des années 1990, en étudiant un segment de la communauté italienne de Toronto originaire de la région du Frioul, dans le nord-est de la péninsule italienne, et la création de leur association, appelée Famee Furlane (Famille de Frioul), au début des années 1930, nous avons découvert que beaucoup de ces nouveaux Canadiens œuvraient dans le secteur du marbre et de la mosaïque. Certains des survivants et nombre de leurs descendants nous ont raconté leur propre contribution et celle de leurs ancêtres à des chefs-d’œuvre, notamment la mosaïque du ROM et le Thomas Foster Memorial d’Uxbridge (Ontario), un temple de style byzantin doté de riches installations mosaïquées réalisées par l’entreprise Connolly. Leur témoignage oral et la documentation qu’ils ont fournie, dont des photos du Foster Memorial, ont fourni des indices qui ont été confirmés par documents d’archives. Un témoin oculaire, qui a contribué à l’installation de la mosaïque, a déclaré que trois ou quatre artisans travaillaient dans l’atelier. Mes recherches ont permis d’identifier trois artisans-mosaïstes, ainsi que d’autres collaborateurs du projet de mosaïque du ROM.
Mon examen des listes d’arrivée des passagers et des annuaires de Washington a permis de compléter l’histoire de Ciro Mora et de le tirer de l’oubli.
Le mosaïste en chef
En consultant les annuaires Might de Toronto, j’ai découvert les noms des dirigeants de la société Connolly. En 1930, Joseph P. Connolly (Drogheda, Irlande, 1882 – Toronto, 1943), qui avait travaillé pour d’autres entreprises italiennes à Toronto, a fondé sa propre société. Ciro Mora (Sequals, Italie, 1889-1960) et Antonio Bortuzzo (Spilimbergo, Italie, 1880-1966) étaient ses partenaires d’affaires. Bortuzzo était originaire de la ville où se trouvait l’École des mosaïstes, fondée en 1922. Des entretiens avec des membres de sa famille à Spilimbergo ont révélé que Bortuzzo était surnommé « Tony et son double » en raison de sa capacité à faire le travail de deux hommes.
L’autre partenaire de Connolly, Ciro Mora, est le mosaïste en chef qui dirigeait les travaux sur les sites du ROM et du mémorial Foster. Des articles de l’époque, parus dans la presse locale de langue anglaise et italienne, ont fait état de ses réalisations. Un article du Toronto Daily Star (19 avril 1929) annonce l’arrivée à Toronto du mosaïste Ciro Mora, « peut-être [...] le seul homme dans le Dominion [du Canada] capable de reproduire la mosaïque romaine ancienne dans toute sa splendeur ». L’article décrit la préparation exhautive d’artisans tels que Mora (quatre ans de formation et un long apprentissage) ; annonce qu’il s’apprête à réaliser la mosaïque de l’entrée du Concourse Building (actuel EY Tower), conçue par le membre du Groupe des Sept James E.H. MacDonald ; et rapporte, au moins trois ans avant que la réalisation de la mosaïque du ROM, que Mora est en pourparler avec le Musée. Après l’achèvement du Foster Memorial en 1936, deux articles dans un journal local de langue italienne font l'éloge de Mora en tant que responsable des mosaïques du Foster Memorial et du ROM.
Mon examen des listes d’arrivées des passagers et des annuaires de Washington a permis de compléter l’histoire de Ciro Mora et de le tirer de l’oubli. Mora était originaire de Sequals, une ville du Frioul où la tradition de la mosaïque remonte à plusieurs siècles.
Cette spécialité locale serait le fruit de l’ingéniosité des habitants qui ont exploité le terrain rocailleux, transformant les pierres en des sols artistiques. D’innombrables émigrants de la région ont contribué au rayonnement de l’art de la mosaïque dans toute l'Europe, voire en Amérique du Nord.
Avant de venir au Canada en 1926, Mora avait immigré aux États-Unis. À Washington, il a travaillé pour un membre de sa famille qui dirigeait la National Mosaic Company, responsable des édifices gouvernementaux de la ville. À Toronto, Mora travaille pour plusieurs entreprises et, en 1930, il devient partenaire de la nouvelle société de Connolly. Compte tenu de son association avec Connolly et le ROM, on peut se demander s’il n’était pas à l’origine du choix du fond doré pour la mosaïque de la Rotonde.
Joseph P. Connelly
Artisanat et artisans
Les photos réalisées et interprétées par les personnes interviewées ont permis d’identifier un deuxième artisan ayant contribué à l’exécution des mosaïques du ROM et du Foster Memorial. Antonio Dell’Angela (Pozzecco di Bertiolo, Italie, 1875 – San Vito al Tagliamento, Italie, 1948), mosaïste primé reconnu pour ses réalisations à la manière vénitienne, a été invité à travailler aux États-Unis. Au Canada, il a contribué à la mosaïque du ROM en tant que mosaïste superviseur. Sur une photo de groupe prise à l’intérieur du Foster Memorial en 1936, il apparaît au premier plan comme la figure la plus âgée et la plus autoritaire. Comme me l’a confié sa fille Elsa Dell’Angela Bratti lors d’un entretien, cette photo témoigne d’un événement festif auquel elle avait elle aussi assisté dans sa jeunesse. Comme Antonio Dell’Angela l’a indiqué à la presse italienne (14 août 1936), probablement en tant que porte-parole de Connolly, le pique-nique pour les familles des ouvriers avait eu lieu le dimanche précédent (9 août), sans doute dans la tradition frioulienne célébrant de l’achèvement d’un bâtiment, et aussi comme une manifestation de la philanthropie de l’ancien maire de Toronto, M. Foster.
Le troisième artisan a été découvert lors d’entrevues avec des membres de la communauté italienne, qui se sont souvenus de l’enthousiasme suscité par le travail de leurs compatriotes sur la mosaïque du ROM. Ils m’ont suggéré de m’adresser à la famille de Marino Colonello (San Giovanni di Casarsa, Italie, 1903 – Toronto, 1979), un mosaïste de la jeune génération formé à Spilimbergo. Il est arrivé au Canada en 1926 et a vite fait de s’imposer dans le milieu. Sa fille Marina Colonello Pezzetta m’a expliqué que son père avait fièrement emmené sa famille au Musée pour voir le chef-d'œuvre auquel il avait collaboré. Il a d’ailleurs confié qu’il y avait inséré quelques touches personnelles . En effet, beaucoup de ses œuvres portent ses initiales. J'ai pu vérifier que les initiales de Marino Colonello se trouvent sur la mosaïque au sol du nouvel hôtel de ville de 1951 à Peterborough (Ontario), représentant une carte des alentours de la ville. Cette pratique n’est pas inhabituelle. Les sculpteurs qui ont travaillé sur l’ancien hôtel de ville de Toronto ont donné aux gargouilles les visages de vraies personnes. Dans l’église anglicane St. Anne, un personnage d’une des scènes religieuses, aujourd’hui perdues, portait les traits de l’artiste du Groupe des Sept qui avait réalisé la peinture.
La recherche d’éléments comparables dans la mosaïque du ROM a conduit au réexamen de la représentation du Lion de saint Marc. Outre l’inscription biblique au centre du plafond, il s’agit du seul des douze panneaux à comprendre des lettres. M-A-R est sans aucun doute la première syllabe de MARCUS. Dans l’iconographie traditionnelle, lorsque l’espace était limité, les parties d’un même mot pouvaient apparaître sur des lignes séparées. Mais dans ce cas, où se trouve le reste du nom du saint ? Il se peut que Marino Colonello l’ait volontairement laissé incomplet, invoquant le manque d’espace, ou qu’il ait inséré les trois lettres inclinées de sa propre initiative, suggérant discrètement non seulement le nom du saint, mais aussi le sien.
Images du Colonello
une place d’honneur
Les frères De Carli ont eux aussi contribué à la réalisation de la mosaïque du ROM. Olvino De Carli (Arba, Italie, 1912 – Toronto, 1997) a expliqué au cours de plusieurs entretiens, et les photographies fournies par la famille De Carli l’ont prouvé, que lui et son frère aîné Remo (Arba, Italie, 1908 –Toronto, 1972) faisaient partie de ceux qui ont installé la mosaïque du ROM. Une photo appartenant à la famille et reproduite dans un article du Telegram (2 juin 1962), montre les deux frères visitant la mosaïque du ROM à l’occasion du 50e anniversaire de la fondation du Musée. Sous leur direction, en tant que nouveaux propriétaires, et avec leur frère Antonio (Arba, Italie, 1910 – Toronto, 1973) dans un rôle de gestionnaire, la société Connolly allait réaliser installations de mosaïque sur des sites architecturaux, non seulement dans la région de Toronto, mais aussi dans d’autres provinces canadiennes.
L’ajout de nouveaux personnages et événements à l’histoire de la mosaïque du ROM prouve que la culture italienne y occupe une place de choix, non seulement dans la conception générale de l’œuvre et dans certains détails (deux des douze panneaux représentent Rome et Venise), mais aussi parce qu’elle est la création d’artisans accomplis, originaires d’Italie, qui lui ont donné vie dans un atelier de Toronto.
Des décennies de recherches ont permis à la professeure émérite Olga Zorzi Pugliese d’identifier environ 200 œuvres d’art en mosaïque dans tout le Canada et publié de nombreux articles sur le sujet. Deux de ses articles consacrés à la mosaïque du ROM ont été publiés en 2004 et 2021.