Le conservateur des poissons du ROM

Nathan Lujan parle de biodiversité, d’une baignade avec des piranhas et d’une espèce nommée d’après sa mère.

Un homme marchant dans une allée de rayonnages contenant des spécimens de poissons en bocaux.

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Nathan Lujan, nouveau conservateur des poissons du ROM

Le conservateur des poissons au ROM, Nathan Lujan, est un scientifique invétéré. Il est du genre à passer un mois en Amazonie pour ramener de nouveaux spécimens et, au grand dam de son épouse, des infections parasitaires. Au moment de notre récent entretien par vidéo, il naviguait d’autres eaux troubles… celles de la logistique de sa prochaine expédition. 

Expédition qui l’amènera dans une région lointaine entre la Guyane et le Suriname, site d’écosystèmes vierges regorgeant de poissons. S’y rendre et obtenir l’autorisation d’y travailler consiste en une démarche complexe de planification et d’obtention de permis. Nathan Lujan se montre optimiste et s’ouvre sur son enfance, la biodiversité et l’émotion de la découverte. 

CF : Votre passion pour les poissons remonte à votre enfance. Parlez-moi de vos « expéditions » dans les ruisseaux de Nashville et de votre amour de la nature. 

NL : J’ai passé mon enfance en banlieue de Nashville au Tennessee, à l’épicentre de la diversité des poissons d’eau douce tempérée. J’ai subi deux grandes influences : une animalerie spécialisée en poissons tropicaux (dont le propriétaire m’a encouragé et n’a jamais cessé de s’intéresser à ma recherche) où j’ai travaillé et un ruisseau près de chez moi grouillant de poissons, d’écrevisses et d’insectes à l’origine de mon intérêt pour les poissons d’Amérique du Nord. C’est en travaillant à l’animalerie que j’ai développé une curiosité face aux poissons tropicaux et aux espèces non décrites. 

Doctorant, j’ai eu l’occasion de cultiver mon intérêt pour la diversité tropicale et d’organiser des expéditions en suivant des cours d’eau pour explorer de nouvelles contrées. Les rivières du bouclier des Guyanes, une formation géologique ancienne composée de montagnes et de hauts-plateaux, se jettent dans des chutes. Et au-delà des chutes, on trouve des espèces encore inconnues comme dans le roman de sir Arthur Conan Doyle, Le Monde Perdu, dans lequel des explorateurs partent à la découverte de dinosaures. Nous n’avons pas trouvé de dinosaures, mais nous avons trouvé des poissons anciens que le soulèvement géologique avait isolés. Ma carrière est dictée par la soif de la découverte et la volonté d’inscrire ces découvertes dans un contexte élargi.

CF : À titre de chercheur, vous avez fait des douzaines de découvertes, dont de nombreuses espèces de poissons-chats. Laquelle vous rend le plus fier ?

NL : Je les considère comme mes enfants et j’ai beaucoup à en choisir un seul. Cela dit, une découverte en particulier me tient à cœur. Elle remonte à 2004, en haut de Salto Tencua, la première chute d’importance sur la rivière Ventuari dans le sud du Venezuela. En 2003, durant ma première année du doctorat, j’avais participé à une expédition au cours de laquelle nous avions remonté un quart de la Ventuari et collecté beaucoup de nouvelles espèces. Les scientifiques ne s’étaient jamais intéressés à cette rivière. Je tenais à poursuivre l’exploration au-delà de Salto Tencua. J’ai donc organisé une expédition l’année suivante. Malgré des semaines de travail sur le terrain, nous n’avons réussi à consacrer qu’un après-midi à la collecte de spécimens en haut de cette chute. Les poissons qui s’y trouvaient ne ressemblaient en rien à ceux que nous avions déjà récoltés. Nous étions en présence d’espèces nouvelles. J’ai d’ailleurs donné le nom de ma mère à une de ces espèces. Ma mère est née aux Pays-Bas et a émigré en Amérique du Nord à l’âge de huit ans, laissant derrière elle son passé, sa famille et l’histoire de son pays. D’un point de vue évolutionniste, l’isolement de ce poisson me rappelait celui de ma mère. 

CF : Comment votre mère a-t-elle réagi? 

NL : Elle était très fière. Elle en a d’ailleurs fait sa photo de profil Facebook pendant longtemps.  

Un homme tenant un poisson-chat blindé à bouche d'aspiration.

En tant que conservateur des poissons du ROM

CF : À titre de conservateur des poissons au ROM, vous êtes responsable d’une collection de plus de 1,5 million de spécimens. Qu’entendez-vous faire de cette importante collection?

NL : La mettre à la disposition des chercheurs – une collection de cette envergure est une ressource inestimable pour les scientifiques qui cherchent à comprendre l’évolution du monde. Ces spécimens sont les témoins permanents de la biodiversité sur toute la planète. Il est donc essentiel de préserver la qualité de la collection et de la rendre disponible aux chercheurs partout dans le monde. Cette collection peut également servir à évaluer l'intégrité environnementale en Ontario et dans la région des Grands Lacs. Les spécimens de la collection nous permettront de comprendre l’impact du réchauffement climatique et des espèces envahissantes comme la carpe asiatique sur les Grands Lacs. 

CF : Quels dangers vous guettent dans vos expéditions? 

NL : Sur la scène locale, la plupart des gens craignent de piler sur une raie et de subir une blessure sérieuse au mollet. Sur les grandes plages, on s’efforce de se déplacer en se traînant les pieds de façon à éloigner les raies. À l’extérieur du Canada, je veille à rester dans la rivière. La forêt présente cependant des menaces complètement différentes : fourmis, insectes qui piquent ou mordent, et même des plantes couvertes d’épines. Règle générale, dans la forêt, ne rien toucher et regagner la rivière dès que possible.

La rivière est un environnement relativement sécuritaire. Je nage avec des piranhas depuis le début de ma carrière et je n’ai été mordu qu’une seule fois. J’étais en train de vider un filet qui contenait quelque 200 piranhas et l’un d’entre eux s’est échappé. Il est reparti avec un bout de doigt de la grosseur d’une pièce de dix sous, mais cela remonte à 17 ans et je n’ai jamais été blessé depuis. 

CF : Les conservateurs du ROM font partie des rares intellectuels publics qui œuvrent aussi bien dans le monde universitaire que le domaine public. Expliquez-nous votre rôle.

NL : Les conservateurs sont convaincus de l’importance des collections qui leur sont confiées. Or, ces collections sont en grande partie inaccessibles au grand public pour des raisons de logistique. Selon moi, tous les musées partagent le même défi : sensibiliser le grand public au travail des conservatrices et conservateurs et à l’importance des collections. Notre équipe compte cinq personnes qui veillent à la gestion de la collection et des prêts. La collection fonctionne exactement comme une bibliothèque. Tous les spécimens sont répertoriés en ligne et peuvent être empruntés. Nous recevons régulièrement des demandes provenant de chercheurs à travers le monde qui souhaitent emprunter un spécimen ou des tissus. Il faut alors les emballer, les expédier adéquatement, assurer leur suivi et éventuellement les réintégrer à la collection. Ce travail fait partie intégrante de la science de la biodiversité, soit comprendre les multiples formes de vie sur Terre. 

Dans le contexte de la crise de la biodiversité et des changements climatiques, ces collections sont plus importantes que jamais. Elles souffrent toutefois d’un manque de ressources, notamment parce que les gens ne sont pas au courant du travail qui est accompli en ce sens. Chaque fois que je fais visiter la collection de poissons, les gens sont étonnés. Ils sont époustouflés d’apprendre l’existence d’une telle bibliothèque de poissons. Il nou faut trouver une solution pour combler l’écart et vulgariser notre travail auprès du grand public. 

Personnes regardant le contenu d'un filet de pêche.

Vos écrits sont truffés d'allusions au cinéma et à la littérature

CF : Vos essais font une large place aux allusions cinématographiques et littéraires, ainsi qu’à une révérence quasi enfantine envers les merveilles de la nature. Quelle importance accordez-vous à la narration d’histoires ? 

NL : J’essaie toujours de raconter une histoire. On ne peut pas s’intéresser à quelque chose sans l’inscrire dans un contexte narratif. Alors quand je parle de l’importance des collections de poissons, je tente de trouver des histoires de spécimens dans la collection qui parlent aux gens. 

CF : Et le mot de la fin ? 

NL : Les rivières sillonnent le paysage. Plus que de simples habitats de la faune aquatique, elles sont un mode de transport, une source d’alimentation, de divertissement et d’inspiration spirituelle pour les populations du monde entier. Il existe un récit holistique des rivières qui n’est pas souvent raconté non seulement en Amérique du Sud, mais partout dans le monde. Il faut expliquer comment les rivières changent en fonction de la biodiversité ou selon la perspective sociale ou hydrologique de leur source à leur embouchure. J’ai comme objectif professionnel de raconter cette histoire et de collaborer avec d’autres spécialistes – cinéastes, sociologues et anthropologues – pour relater un récit résolument holistique sur les rivières et l’importance de les maintenir en santé et préserver leur libre écoulement, sans les entraves des barrages hydroélectriques et des obstacles majeurs. L’essor de l’hydroélectricité dans les pays tropicaux menace la biodiversité. Il est plus urgent que jamais de raconter ces histoires.

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Jetez un coup d'œil à l'intérieur de l'endroit secret où le ROM conserve la plus grande collection de poissons du Canada.

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