L’art est un réconfort

L’art de Shamsia Hassani, une source d’espoir pour les temps difficiles
Shamsia Hassani devant l'une de ses peintures murales

Publié

Catégorie

Art et culture

Auteur

Aina J. Khan

Plus de dix ans après le début de la guerre en Afghanistan, en 2001

Plus d’une décennie après le début de la guerre en Afghanistan, en 2001, Shamsia Hassani a été propulsée sur le devant de la scène internationale comme l’une des premières artistes graffeuses d’Afghanistan.   

Les bâtiments de Kaboul, tels des squelettes abandonnés, bombardés, ravagés par les atrocités de la guerre, sont devenus une toile pour Hassani, visant à effacer les souvenirs de la guerre. Elle peint à la bombe des mondes oniriques et imaginaires avec, au cœur de chacun d’entre eux, la silhouette stylisée d’une seule et unique femme. 

Les peintures murales d’Hassani, avec leur silhouette centrale – toujours représentée les yeux sereinement fermés au monde, portant un hijab, une burqa ou un autre voile, entourée d’une nuée de chauve-souris, surplombée de paysages urbains, ou encore les mains posées sur les touches d’un piano – sont vite devenues un symbole d’humanisation de la femme afghane. 

Peinture

Protagoniste de premier plan

Incarnation de la force et de la contemplation, l’héroïne d’Hassani va à l’encontre des représentations médiatiques de la femme afghane, presque toujours réduite à ses choix vestimentaires ou à son manque d’autonomie, que ce soit par les talibans ou par les politiques étrangères occidentales. 

Le 15 aout 2021, à la suite d’une guerre de deux décennies, les talibans sont revenus à la charge et ont pris le contrôle du gouvernement afghan. Depuis, la liberté des femmes afghanes sous le régime des talibans s’est considérablement dégradée. Les femmes se voient refuser l’accès à l’éducation supérieure et aux postes au sein du gouvernement. Les salons de beauté ont dû fermer. Les femmes afghanes se voient refuser l’accès aux lacs de Band-e-Amir, les talibans les accusant de ne pas porter leur hijab correctement. 

Grâce à son art, Hassani bouscule les stéréotypes occidentaux de la femme afghane, notamment les perceptions du monde occidental sur le hijab. 

« En dehors de l’Afghanistan, la femme afghane est perçue comme prisonnière de sa burqa et ignorante, et le port du hijab est vu comme un symbole d’oppression systématique. Ceci est tout simplement faux », affirme Hassani. 

L’Afghanistan vit actuellement une des plus grandes crises migratoires. Hassani fait partie des nombreuses personnes afghanes qui ont été arrachées à leur terre natale, elle vit actuellement en exil à Los Angeles. Ses peintures murales ont désormais été détruites dans un Afghanistan profondément différent de celui qu’elle a quitté. 

Peinture
En quittant Kaboul, j’ai eu l’impression de mourir. En tant que musulmanes et musulmans nous croyons qu’à notre mort, nous passons dans un autre monde. Cependant, notre âme continue à chercher notre famille, nos ami.e.s, et notre ancienne vie dans notre ville natale. J’ai le sentiment d’être morte, et d’être à la recherche de mon ancienne vie.
Shamsia Hassani
Artiste

Après avoir quitté Kaboul, j'ai eu l'impression d'être mort.

« En quittant Kaboul, j’ai eu l’impression de mourir », a déclaré Hassani, depuis son studio de Los Angeles. Par peur pour sa sécurité, elle s’interdit de retourner dans son pays natal. Le lien d’Hassani avec son Afghanistan bien-aimé est uniquement virtuel.

« En tant que musulmanes et musulmans nous croyons qu’à notre mort, nous passons dans un autre monde. Cependant, notre âme continue à chercher notre famille, nos ami.e.s, et notre ancienne vie dans notre ville natale. J’ai le sentiment d’être morte, et d’être à la recherche de mon ancienne vie, ajoute-t-elle. Toutes mes relations, amicales, familiales ou autres, se font à travers mon iPad, car nous sommes uniquement en contact virtuellement. »  

Hassani a été spécialement mandatée pour créer l’œuvre Il était une fois/یکی بود یکی نبود (Yeki bood yeki nabood) pour l’exposition du ROM intitulée Être et Appartenir : Artistes contemporaines du monde islamique et au-delà

L’exposition réunissait une centaine d’œuvres de 25 artistes contemporaines, soit natives, soit connectées à une vaste région géographique s’étendant de l’Afrique de l’Ouest à l’Asie du Sud-Est, dont un grand nombre vit désormais en diaspora, comme Hassani. 

Il était une fois était l’œuvre inaugurale de l’exposition. Selon Fahmida Suleman (Ph.D.), conservatrice des collections d’art islamique et commissaire en chef de l’exposition Être et Appartenir, ce positionnement était intentionnel. « L’art de Shamsia englobe tous les thèmes de l’exposition : l’être, l’appartenance, l’espace, le mouvement, le pouvoir. Cette œuvre fait également office de guide pour les visiteurs dès leur entrée dans l’exposition : avec sa taille imposante et sa composition qui inspire la contemplation, elle donne le ton et affirme que les femmes ont des messages percutants à communiquer et qu’elles sont de formidables vectrices de changement », partage Suleman. 

Dans Il était une fois, le passé d’Hassani crée une force gravitationnelle qui entraîne le regard de l’héroïne vers un trou béant dans le ciment. Plutôt que de lever les yeux vers un futur riche en couleurs, le regard de la femme est transi de nostalgie de ses origines. 

Le vêtement de la femme est décoré d’une poche faite d’un journal de Kaboul et remplie de pissenlits (symbole de ses rêves et de ses ambitions), sur lesquels elle peut souffler et faire un vœu, peut-être celui de retourner un jour chez elle. 

« Cette silhouette, c’est la mienne » confesse Hassani avec tristesse. Elle ne peut pas voir ses rêves et ses ambitions, car, le regard baissé, elle est focalisée sur son passé. Ses rêves se sont envolés. » 

Un avenir incertain

L’incertitude quant à son futur et à son retour en Afghanistan maintient Hassani prisonnière du passé, un sentiment qui se reflète dans son autoportrait stylisé où elle se voit flotter au niveau d’un trou noir dans le béton. 

Le travail d’Hassani se concentre sur une silhouette féminine représentée sans bouche ni nez – un style d’illustration choisi par l’artiste pour permettre aux spectateurs de s’identifier au personnage. Peindra-t-elle un jour cette femme avec les yeux ouverts ? Elle répond : « Pour moi, ce personnage est une personne à part entière, avec sa propre identité, si je modifie son visage, elle deviendra quelqu’un d’autre. » 

Peinture

Née à Téhéran, Iran

Née à Téhéran, en Iran, de parents immigrés afghans, Hassani et sa famille sont retournées en Afghanistan en 2004 alors qu’elle avait 16 ans. Dans une autre vie, en tant que professeure des beaux-arts à l’université de Kaboul, aux côtés d’autres créatrices et créateurs afghan.e.s, Hassani a participé en 2009 à cofonder le Berang Arts, un organisme d’arts contemporains. Elle a également contribué au lancement du premier festival national de graffitis en Afghanistan. Ses œuvres de graffiti ont inspiré des milliers de personnes partout dans le monde, particulièrement les artistes afghanes. 

Le désespoir, la nostalgie et la peine ressentis par Hassani depuis son départ d’Afghanistan ont été une source d’inspiration intarissable pour son art. 

Loin de sa Kaboul bien-aimée, Hassani a fait de son studio de Los Angeles un havre créatif, un lieu ou l’art est une source d’apaisement, de refuge et de libération. Ses peintures murales sont dispersées partout dans le monde. Les médias sociaux, les expositions internationales et les ateliers sont les nouveaux moyens avec lesquels elle partage son œuvre avec le public mondial. 

Peinture

Processus créatif

Le processus créatif d’Hassani commence toujours par le transfert d’une image qu’elle a en tête sur une feuille de papier apparemment quelconque, mais qui est en fait le centre de son énergie créative. 

« Pour moi, la véritable œuvre d’art se trouve sur ce vulgaire bout de papier, parce que c’est à ce moment-là et sur cette feuille que je me livre corps et âme, partage Hassani. Ce processus est comparable à celui d’une large bibliothèque dans mon cerveau : d’abord, je ne sais pas quel livre choisir, et soudainement, comme une évidence, le livre que je cherchais depuis toujours s’impose à moi. » 

Lorsqu’elle vivait en Afghanistan, Hassani était optimiste pour l’avenir du pays. Cependant, son exil à durée indéterminée à Los Angeles a créé une séparation et un désir profond et inassouvi de réunion –, pas seulement entre elle et ses parents, sa sœur et ses ami.e.s, mais aussi avec les murs qu’elle avait peints jadis. 

« Bien que les expériences vécues par Hassani soient spécifiques aux contextes politique et historique d’Afghanistan, son œuvre incarne un message universel pour les êtres humains quant aux concepts de se sentir chez soi, d’appartenance, du traumatisme de la migration forcée, et de la douleur de la séparation d’avec nos proches », déclare Suleman. 

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Inspiration et espoir

Les murales œuvres d’art d’Hassani ont instillé de l’inspiration et de l’espoir parmi les femmes artistes du monde entier. Mais la question se pose alors : Hassani a-t-elle réussi à garder espoir au cours des nombreuses épreuves qu’elle a traversées ? 

« Je m’efforce de garder espoir pour moi-même, dit Hassani, et pour tous ceux d’Afghanistan qui ont dû se disperser à travers le monde, tous ceux qui ont, tout comme moi, la nostalgie de leurs racines et qui se sentent désemparés. Même si c’est l’affaire de quelques secondes, ils peuvent regarder mes œuvres, et s’échapper brièvement de leurs traumatismes et de leurs souffrances ».  

Aina J. Khan

Aina J. Khan est une journaliste indépendante basée à Londres (Royaume-Uni), qui a été publiée dans Al Jazeera English, The Guardian, Vogue Arabia et VICE

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