L’art d’Aubrey Beardsley (1872-1898)
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Aubrey Beardsley (1872-1898)
Aubrey Beardsley naît à la fin du 19e siècle – une époque où la société commence à s’interroger sur les bienfaits de l’industrialisation et du capitalisme à travers le monde. Ces développements s’accompagnent d’une mouvance esthétique sans précédent.
À l’âge de 21 ans, Beardsley connaît déjà un succès retentissant. Plus de 1 000 de ses dessins à l’encre et à la plume seront publiés de son vivant. Grâce à l’impression photomécanique, ses œuvres sont reproduites en grand nombre dans les journaux, les ouvrages illustrés et les revues d’art. Ce rayonnement contribue largement à la renommée de Beardsley. Son nom devient vite synonyme de l’art britannique des années 1890, de la décadence et du mouvement esthétique.
Illustrations de Beardsley réalisées en 1894
Les illustrations réalisées par Beardsley en 1894 pour la Salomé d’Oscar Wilde incarnent l’esthétique anglaise fin de siècle et figurent sans conteste parmi les œuvres les plus célèbres de l’artiste. Puisant aux sources des préraphaélites et d’autres artistes du mouvement esthétique, le style de Beardsley est en constante évolution. Il emprunte aux répertoires de divers mouvements d’art contemporain, dont celui des symbolistes français et de l’Art nouveau, mariant ces éléments à des sources historiques comme la céramique attique à figures noires, la première Renaissance et l’art français du 18e siècle. À l’instar de nombreux artistes de l’époque, il est fasciné par l’art japonais et l’esthétique des gravures sur bois (ukiyo-e), les rouleaux peints (kakemono), l’art érotique (shunga) et les motifs stylisés de la porcelaine bleu et blanc.
Ces influences ne peuvent être mieux perçues nulle part ailleurs
Ces influences sont particulièrement évidentes dans les audacieuses illustrations noir et blanc qu’il crée pour Salomé. Le motif du paon domine la planche V, La jupe paon. Ce motif doit sa popularité à la Salle du paon (« Peacock Room ») décorée par le peintre James McNeil Whistler en 1877. Longilignes, hautement stylisées, grotesques et androgynes, les figures sont vêtues selon les diktats de la mode esthétique contemporaine, tandis que les lignes sinueuses empruntent à l’Art nouveau européen.
Le traitement en aplat de larges surfaces noires juxtaposées à des compositions asymétriques, les figures se découpant sur des fonds stylisés sont autant d’hommages à l’art japonais dont Beardsley est un fervent admirateur. L’artiste utilise cette confluence d’expressions esthétiques pour explorer un style graphique distinct – une nouvelle identité visuelle qui lui est propre.
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Ce qui rendait également les illustrations de Beardsley uniques
Le caractère unique des illustrations de Beardsley tient à leur représentation d’une contre-culture subversive qui fait la critique et la satire du puritanisme victorien, lui valant une place de choix au sein de l’avant-garde. Privilégiant la controverse qui alimente sa notoriété, l’œuvre de Beardsley explore l’émancipation intellectuelle de l’époque qui aspire à une redéfinition de la beauté, de la sexualité et du genre. Ses dessins sont consacrés aux femmes qui assument leur sexualité, à la fluidité des genres, à la non-conformité, ainsi que le désir associé aux relations sexuelles. À l’époque de Beardsley, la représentation LGBTQIA+ transgresse les règles. Les relations entre hommes sont criminelles en vertu de la section 11 de l’amendement Labouchère de 1885, qui sera maintenu en Angleterre jusqu’en 1967.
En 1895, juste un an après la publication de Salomé,
En 1895, un an après la publication de Salomé, au terme d’un procès très médiatisé, Oscar Wilde est déclaré coupable de « grossière indécence ». Sa relation amoureuse avec lord Alfred Douglas lui vaut la prison. Associé à Wilde, Beardsley est démis de ses fonctions de directeur artistique du Yellow Book (périodique littéraire de renom), des manifestants ayant pris d’assaut les bureaux du périodique.
Sans emploi et avec peu de chance d’obtenir des commandes à Londres, Beardsley se réfugie en France. Il continue à travailler, mais sans atteindre à sa renommée de jadis. À peine trois ans plus tard, à l’âge de 25 ans, Beardsley est emporté par la tuberculose, maladie qu’il avait contractée à l’âge de sept ans. Sachant son temps compté, Beardsley se serait voué corps et âme à son œuvre.
La carrière fulgurante de Beardsley l’impose comme l’un des plus grands noms de l’art graphique de la fin du 19e siècle. Son œuvre inédite inspire la génération d’artistes internationaux à l’origine du mouvement moderne.
Ses dessins continueront d’être reproduits à l’international, son influence se faisant sentir dans les Amériques, la Russie et le Japon. En 1966, près de 70 ans après sa mort, une rétrospective majeure au Victoria & Albert Museum (Londres) inscrit Beardsley et l’Angleterre fin de siècle dans le cadre de la contre-culture en Grande-Bretagne. Ses dessins influencent l’art psychédélique, la mode, le design et la culture populaire. Le catalogue raisonné de Linda Gertner Zatlin publié en 1966 et l’exposition conçue par Stephen Calloway célébrant le centenaire de la mort de Beardsley en 1998 suscitent un regain d’intérêt pour son œuvre. En 2020, la monographie organisée par Tate Britain et le musée d’Orsay consolide la fortune critique de l’artiste et met en lumière sa contribution inappréciable à l’histoire de l’art et de la culture visuelle.
Jennifer Kinnaird
Jennifer Kinnaird est spécialiste des collections européennes au Département des arts et des cultures.