La photographie naturaliste
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Un
Notre sens de l’émerveillement est inextricablement lié à la nature. Lorsque nous sommes à l’extérieur (même simplement assis sous un arbre dans un parc, toutes notifications fermées), il est plus facile d’imaginer que tout est possible – en particulier dans ces espaces magiques où le vert l’emporte sur le gris. L’exposition Le Photographe naturiste de l’année transpose cet émerveillement à l’intérieur des murs.
En passant d’une image à l’autre – certaines fantaisistes, d’autres troublantes, mais toutes percutentes – dans les galeries feutrées et faiblement éclairées, j'ai eu l'impression de flotter et de plonger à la fois. La photo de l’agglomération de moules à Praia da Ursa, Sintra, au Portugal, réalisée par Theo Bosboom (Pays-Bas) et intitulée L’union fait la force m’a sidérée, d’autant plus que ce rassemblement avait pour but d’éviter d’être emportées par les vagues. Cette photo se veut un brusque rappel de notre responsabilité de prendre soin les uns des autres.
Deux
Vous souvenez-vous de votre première visite en forêt, même si vous êtes resté à la lisière parce que (comme moi) vous avez ressenti une certaine anxiété à l’idée d’être plongé au cœur de la nature sauvage ? La photo intitulée Pleins feux sur… de Shreyovi Mehta (Inde), montrant deux paons bleus dans une clairière dans le parc national de Keoladeo au Rajasthan, en Inde, évoque ce même sentiment de conte de fées inquiétant. Encore plus extraordinaire ? La photographe n’a que neuf ans.
Cette citation de Tony Wu, photo graphe naturaliste et membre du jury, m’a frappé : « Faites preuve de patience. Rencontrer un animal c’est comme rencontrer une personne. Il faut prendre le temps de tisser des liens et de se faire confiance. » J’ai été clouée sur place devant Pêche de nuit, un cliché saisissant de Geoffrey Reynaud (Canada), en observant un grizzly chassant le saumon au bord d’une rivière glacée au Yukon. On a l’impression qu’il esquisse un léger sourire pour le piège photographique.
L’édition 2024 de l’exposition, que j’ai visitée quelques jours seulement après la mort d’un animal de compagnie bien-aimé, nous réserve de nombreux moments surprenants et réconfortants. Poptart était un hamster syrien noir avec une bande blanche sur le ventre. Doux et affectueux, il nous a apporté beaucoup de bonheur, à moi et à ma famille. Perdre un animal de compagnie qui dépend de nous pour son bien-être est bouleversant. Plusieurs photographes représentés dans cette exposition nous incitent à éprouver du chagrin pour la destruction de la faune attribuable à la perte d’habitat et le changement climatique entraînés par l’intervention humaine.
Les peuples qui vivent depuis le plus longtemps en harmonie avec la terre possèdent des connaissances inestimables. Les voix autochtones doivent faire partie intégrante de la gouvernance écologique.
Trois
Deux images en particulier allient esthétisme et horreur. Dans Un régime mortel de plastique, Justin Gilligan (Australie) a créé une mosaïque à partir des 403 morceaux de plastique trouvés dans le système digestif du cadavre d’un puffin à pieds pâles. Dans La collision de deux mondes, Patricia Seaton Homonylo a créé une image à la limite du supportable montrant 3 900 oiseaux représentant 103 espèces qui sont morts après être entrés en collision avec des fenêtres dans le Grand Toronto en 2022. Ces images à fendre le cœur éveillent l’amour inconditionnel qui s’impose pour provoquer un changement, pour contester et perturber les systèmes écotoxiques qui épuisent les ressources naturelles plutôt que de les revitaliser.
Les humains sont tout aussi vulnérables aux conséquences de la crise climatique, quoique l’impact des injustices environnementales ne soit pas ressenti de la même manière. Les communautés autochtones, noires, racialisées, à faibles revenus, sans logis et autres communautés systémiquement marginalisées sont les plus touchées par ces catastrophes.
Dans le cadre cette exposition, trois détenteurs de savoirs autochtones représentant différentes nations ont enregistré des histoires sur les relations dans le monde naturel.
Jason Picard-Binet est un Wendat de Wendake. Il parle de l’importance des chevreuils pour au sein de sa Nation. « Encore aujourd’hui, la chasse soit pour Aoskway (l’orignal) ou Oskenonton (le chevreuil) sur nos territoires ancestraux, est essentielle pour la transmission de la culture auprès de la jeunesse wendat. En plus d’y récupérer la viande, nous apprenons aux jeunes à respecter l’entièreté de l’animal. »
Elizabeth Osawamick est une Anichinabée du territoire non cédé de Wiikwemkoong. Elle parle des ours et de la place qu’ils occupent dans les clans. « Ce sont les membres du clan de l’Ours qui connaissaient la médecine. Ils connaissaient les différentes plantes médicinales. L’ours est donc très important pour nous. »
Rosary Spence est une Crie Mushkego de la Première Nation de Fort Albany. Elle parle des enseignements des êtres marins et de l’importance de protéger l’eau, s’inspirés d’un rêve. « Le castor m’entretenait des substances médicamenteuses enfouies dans le sol, dans les lacs, dans les ruisseaux et les rivières. Les racines profondes qui courent dans ces cours d’eau. La hutte est un espace commun et non individuel. »
Les peuples qui vivent depuis le plus longtemps en harmonie avec la terre possèdent des connaissances inestimables. Les voix autochtones doivent faire partie intégrante de la gouvernance écologique.
En me plongeant dans le travail époustouflant des photographes, j’ai souvent ressenti plusieurs émotions à la fois. Le flamant rose et la goutte de rosée de Jan Leßmann et Hermann Hirsch (Allemagne) m’a d’abord fait sourire en apercevant ce qui semblait être un flamant sous la douche derrière une porte en verre dépoli. J’ai ensuite été stupéfaite de constater que le flamant au loin, dans l’un des plus importants milieux humides d’Europe, aux Saintes-Maries-de-la-Mer, en Camargue (France), avait été photographié une toile d’araignée parsemée de gouttes de rosée.
De nos jours, avec des investissements massifs dans les combustibles fossiles, la technologie militaire et la réglementation au détriment de la conservation écologique, de la sécurité alimentaire et du logement abordable, et des méga-entreprises qui cachent leur dévastation de l’environnement derrière l’écoblanchiment, il peut être tentant de devenir cynique et de perdre espoir. Ces photographies étonnantes et électrisantes qui sont autant de portraits de nos cousins sauvages est l’occasion de renforcer la compréhension innée que nos destins individuels sont étroitement liés les uns aux autres et à tous les êtres de cette planète et de reconnaître notre obligation de protéger notre avenir commun.
Vers la fin de ma visite, j’ai été enchantée par L’ancêtre du Glen de Fortunato Gatto (Italie). Cette photo envoûtante, pour ne pas dire surréelle, d’un vieux bouleau noueux couvert d’usnée barbue et grisâtre dans la forêt de pins anciens de Glen Affric, en Écosse. Ce cliché évoque un tableau vivant de Monet. J’ai éprouvé un sentiment de reconnaissance que de tels endroits existent encore et désir irrépressible de contribuer à leur préservation.
Nous avons toutes et tous besoin de merveilleux dans nos vies. Les photos réunies dans cette remarquable exposition évoquent ce sentiment de merveilleux parfois oublié. Nous pouvons le retrouver… il suffit de le vouloir.
Quatre
Jessica Westhead est une auteure et rédactrice en chef de renom qui vit à Toronto
Cinq
L’exposition Le Photographe naturaliste de l’année est conçue et produite par le Natural History Museum, à Londres.
Cette exposition a bénéficié du soutien généreux du Cercle royal des expositions.