En compagnie des chats

Les félins nous fascinent et nous influencent depuis la nuit des temps
Photo d'un chat du Bengale, d'un léopard et d'un lion

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Catégories

Histoire naturelle
Art et culture

Auteur

Kat Eschner

Traquer des proies, se rouler dans les prés ou simplement observer le monde

Traquant une proie, s’ébattant dans les hautes herbes ou contemplant le monde, les félins de toutes tailles fascinent les humains depuis la préhistoire. Le ronron et le rugissement de ces bêtes irrésistibles ont conquis le cœur des humains, se taillant une place dans nos foyers et nos cultures, sans jamais se départir de leur caractère.

À travers les âges, les humains partout dans le monde ont tissé des liens avec les félins. Ces liens trouvent leur expression dans des œuvres d’art, des récits et des objets décoratifs évoquant souvent ce qui nous distingue des chats.

L’humain est un animal social dont le corps se prête à un régime omnivore. Par contre, les félins partagent certaines caractéristiques qui les distinguent des humains : ils sont carnivores de nature, c’est-à-dire qu’ils se nourrissent surtout de chair animale ; leurs membres sont souples, ce qui leur permet de capturer des proies et de grimper aux arbres ; leurs griffes sont rétractiles (à l’exception du guépard) ; la vaste majorité sont solitaires ; et, exception faite du lion, ils n’ont pas de structure sociale rigide même lorsqu’ils se regroupent pour élever les petits.

Les œuvres d’art et les objets culturels à travers les âges témoignent de la fascination soutenue de l’humanité pour ces bêtes extraordinaires. Certaines populations ont modelé leurs armes d’après les griffes d’un tigre, notamment le bagh nakh fabriqué en Inde. D’autres ont tenté de s’approprier le pouvoir majestueux d’un félin, comme certains anciens dirigeants de la Chine et du Paraguay.

Mais des chats sauvages, petits et grands,

Au cours des siècles, les félins, grands et petits, se sont heurtés à l’activité humaine. Aujourd’hui, la perte et la fragmentation d’habitat, sans compter la chasse, comptent parmi les grandes menaces qui pèsent sur ces animaux.

Jenn Martin, gardienne au zoo de Toronto, s’occupe des léopards des neiges Jita et Pemba. Le léopard des neiges, comme beaucoup d’autres félins, est menacé de disparition. Les humains sont une de ses plus grandes menaces, y compris ceux qui partagent son habitat dans les régions montagneuses d’Asie. « L’empiètement des humains sur leur territoire et la raréfaction des proies dans certaines régions forcent les félins à s’introduire dans les villages et à s’attaquer au bétail pour survivre. Les agriculteurs les tuent en représailles », affirme-t-elle.

Le braconnage est une menace encore plus grande. « En moyenne, un léopard des neiges par jour est tué pour sa fourrure », dit-elle. De nombreux chats sauvages font face à de telles menaces. L’essor du trafic illégal des peaux, griffes, dents et entrailles des jaguars, des tigres et de nombreuses autres espèces témoigne de la face cachée de notre fascination pour les félins. 

La complexité de la relation de l’humanité avec la famille des félidés est clairement illustrée dans l’histoire de Felis catus, le chat domestique. La domestication du chat est « un processus qui a évolué petit à petit, de dire Eva-Maria Geigl, paléontologue et chercheuse principale à l’Institut Jacques-Monod à Paris. La plupart du temps, il n’était sans doute pas dicté par les humains. » 

Madame Geigl et ses collègues s’intéressent à l’histoire génétique de l’évolution de l’humain et de l’animal domestique. Dans le cadre d’une étude menée en 2017, ils ont analysé l’AND mitochondrial des félins à partir du néolithique. Ils sont arrivés à la conclusion que le chat domestique tel que nous le connaissons est le produit d’un très long processus de rapprochement entre les humains et les félins. 

Le chat de Pallas

Dans le Croissant fertile, à l'époque néolithique

Au néolithique, dans le Croissant fertile, des félins locaux appartenant à une sous-espèce du chat ganté d’Afrique se rapprochent des humains qui cultivent des céréales. La région est riche en ressources alimentaires. Les félins et les humains avaient en commun la volonté de réduire la population de rongeurs. La cohabitation était donc plutôt pacifique, surtout que la petite taille de ce chat sauvage ne présentait aucune menace pour les humains.

Selon Geigl et ses collègues, les félins les moins timides ont entrepris de se rapprocher des humains qui, s’étant mis à l’agriculture, commencent à migrer. « Ils se déplacent vers l’Afrique et l’Europe, de dire Geigl. Leurs nouveaux compagnons félins les accompagnent dans leurs déplacements par voie de terre ou de mer. Cette sous-espèce du chat ganté d’Afrique est présente à travers le monde ancien. » 

Les félins continuent à s’associer aux humains, car cette association sert les intérêts des deux parties. Les humains ne sont pas faits pour la chasse aux petits rongeurs qui mangent les précieuses céréales ou grugent les cordes et les lanières de cuir des navires. Pour leur part, les chats bénéficient de l’accès aux espaces humains qui sont relativement chauds et secs, et bien pourvus en nourriture. 

Contrairement aux chiens, qui ont été domestiqués bien avant les chats, les félins ont peu de traits en commun avec les humains, affirme Geigl, mais les deux espèces s’entendent bien néanmoins. « C’est une relation commensale », dit-elle. Des témoignages semblables existent ailleurs, y compris en Chine, mais dans ces endroits les humains et les chats ne se sont jamais rapprochés au point de devenir des compagnons domestiques. 

L’équipe de chercheurs disposait d’archives génétiques limitées : échantillons d’os, de peau et de poil d’Afrique, du Moyen-Orient et d’Europe soigneusement collectionnés et séquencés depuis le début des années 1980. Cela dit, elle avait accès à des œuvres d’art et des biens culturels témoignant du rapprochement des félins et des humains à travers les âges. 

Léopard nébuleux

Il y a 10 000 ans déjà

Il y a 10 000 ans, les populations du Levant sculptaient des figurines de félins dans la pierre. Certaines données archéologiques, dont un site d’enterrement vieux de 9 500 ans en Chypre, permettent d’affirmer que certains félins étaient devenus des animaux de compagnie. Les œuvres d’art illustrent l’évolution de ce rapprochement. « La culture minoenne (3100-1100 av. notre ère) a elle aussi ses figurines de félins », affirme Geigl.

La source la plus riche d’œuvres d’art et d’objets culturels témoignant de l’évolution du statut du chat se trouve dans l’Égypte ancienne, où il est représenté sur des couteaux en ivoire et des bas-reliefs dès l’an 2200 avant notre ère. Les félins représentés chassant aux côtés d’humains dans les marais seraient des chats sauvages, datant d’aussi loin que le Moyen Empire. Des œuvres d’art commencent peu à peu à représenter des félins dans des intérieurs, notamment assis sous la chaise d’une femme. Vers 1450 avant notre ère, ces représentations sont répandues. 

« Les chats sauvages sont des animaux solitaires et très méfiants, de dire Geigl. On ne trouverait pas un chat sous une chaise à moins d’une modification de son comportement qui lui permet de cohabiter avec les humains. » 

Civilisation égyptienne ancienne

La civilisation de l’Égypte ancienne était très religieuse et conférait aux animaux un caractère sacré. Les chats incarnaient des divinités, y compris Sekhmet, la déesse à tête de lion, et son fils Mahès. Vers l’an 1000 avant notre ère, le culte de Bastet se propage et des chats sont élevés dans des temples et momifiés. 

« La popularité du culte est telle qu’il faut des milliers de chats, affirme Geigl. C’est une véritable industrie. » Son équipe a eu l’occasion d’analyser quelques échantillons de chats momifiés, permettant d’affirmer que les chats descendent du chat égyptien qui s’est répandu rapidement dans toute la Méditerranée, probablement par voie maritime. 

Statue

Les chats domestiques ont prospéré aux côtés de l'homme

Depuis, les chats cohabitent avec les humains, s’imposant comme des animaux de compagnie. Aujourd’hui, les chats domestiques se comptent par milliers à travers le monde. Diverses populations continuent de produire des œuvres d’art et des objets culturels s’articulant autour de notre rapport avec les chats. Cette relation a cependant une face cachée : la prolifération des chats domestiques a un sérieux impact sur la faune locale. Chaque année, des billions de reptiles, amphibiens, oiseaux et mammifères sont tués par des chats errants partout dans le monde, donnant lieu à des mouvements visant à repenser notre traitement des animaux de compagnie. 

Qu’il s’agisse de notre sensibilisation à l’impact des activités humaines sur l’habitat naturel des grands chats, de nos efforts pour mieux comprendre les petits félins solitaires ou de notre capacité de partager nos ressources avec nos voisins domestiqués, notre relation avec les chats est en constante évolution.

Cette exposition a été créée

Cet article s’inscrit dans le cadre de l’exposition Chats sauvages conçue par le Muséum national d’Histoire naturelle, France.

Kat Eschner, journaliste de la chaîne TVO, travaille à l’élaboration d’une nouvelle émission sur la désinformation, les fausses nouvelles et les théories du complot.  

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