Dessiner l’Holocauste
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Peu d’individus ont survécu à Auschwitz. Encore moins ont survécu, puis se sont échappés pour être recapturés et survivre à nouveau. Jan Komski était l’un d’entre eux.
Peu d’individus ont survécu à Auschwitz. Encore moins ont survécu, puis se sont échappés pour être recapturés et survivre à nouveau. Jan Komski était l’un d’entre eux.
Komski est né le 3 février 1915 dans une famille catholique de la ville de Bircza, en Pologne. Ses parents, a-t-il déclaré au Musée mémorial de l’Holocauste des États-Unis en 1990, étaient des « gens qui travaillaient dur » et qui luttaient comme tout le monde dans leur petite ville. Jeune homme, Komski a déménagé à Cracovie pour étudier l’art et l’histoire de l’art à l’Académie des beaux-arts de Cracovie. La grande ville polonaise était, aux yeux de l’artiste en herbe, « un bel endroit où vivre » avec une multitude de points de repère, d’églises et de synagogues. Mais peu de temps après l’obtention de son diplôme en 1939, la guerre a éclaté et tout a changé. « Les Allemands étaient partout », a-t-il déclaré au Musée mémorial de l’Holocauste des États-Unis. « Alors, bien sûr, les persécutions ont commencé immédiatement.
En 1940, Komski appartenait à la résistance polonaise et s'opposait activement à l’occupation nazie. Mais il a rapidement été arrêté près de la frontière slovaque alors qu’il circulait muni de faux documents d’identité. Le 14 juin 1940, le jour même de l’ouverture du camp de concentration, le jeune peintre polonais sous le pseudonyme de Jon Baraś est arrivé à Auschwitz parmi les premiers prisonniers.
À cet endroit, Komski a dessiné des plans destinés à la construction de nouveaux bâtiments dans les camps en pleine expansion. Alors que ses compétences, conjuguées à son statut de non-juif, lui ont permis d’échapper à la chambre à gaz, Komski a été témoin des violentes cruautés de la vie quotidienne : pendaisons, coups et masses de corps nus et émaciés qui, bien des années plus tard, se matérialiseraient sous la forme d’œuvres d’art détaillées.
Le 29 décembre 1942, Komski et trois amis, dont l’un était déguisé en uniforme SS, ont réussi leur grande évasion. Bien que Komski ait été en mesure de transmettre des renseignements à la résistance, il a rapidement été arrêté dans un train à destination de Varsovie. Comme il avait été arrêté à l’origine sous le pseudonyme de Jon Baraś, les nazis ne l’ont jamais identifié comme fugitif et sa vie a été épargnée. Mais il a été envoyé à la prison de Montelupich, puis de nouveau à Auschwitz.
« Ce moment marqua le début d’une existence aux multiples facettes alors que Komski était parqué de camp en camp : Birkenau, Buchenwald, Grosse Rosen, Hersbruck, Dachau », a rapporté le Washington Post en 1979. Les SS le considéraient comme un homme énigmatique, ses références ne pouvant être vérifiées. Il a subi des tortures, puis a été contraint de peindre des portraits des gardes. Par la suite, il est devenu chef cuisinier au service de 2 000 détenus.
Finalement, le 29 avril 1945, à Dachau, Komski a été libéré par l’armée américaine. Après s’être marié avec une survivante d’Auschwitz, il a déménagé aux États-Unis, où il a rejoint le Washington Post en tant que graphiste.
Plus d’une décennie plus tard, lors d’un voyage au Museo Nacional del Prado en Espagne, Komski visite la série Les Désastres de la guerre de Francisco Goya : une collection de 82 gravures réalistes, en proie au carnage et à la terreur. Inspiré, Komski a commencé à dessiner des souvenirs de sa vie de prisonnier – des souvenirs qui, des décennies plus tard, deviendraient un fil conducteur essentiel de l’exposition Auschwitz. Pas si longtemps. Pas si loin.
À Auschwitz, Komski a été témoin des violentes cruautés de la vie quotidienne qui, bien des années plus tard, se matérialiseraient sous la forme d’illustrations détaillées.
Les commissaires de l’exposition entamaient le processus de sélection des objets destinés à constituer ce qui allait devenir Auschwitz. Pas si longtemps. Pas si loin., et avaient conscience de la nécessité d’une preuve visuelle de la vie au sein du camp.
Alors que les commissaires de l’exposition entamaient le processus de sélection des objets destinés à constituer ce qui allait devenir l’exposition Auschwitz. Pas si longtemps. Pas si loin., ils avaient conscience de la nécessité de disposer d’une forme de preuve visuelle témoignant de la vie au sein du camp d’Auschwitz.
Cette démarche les a menés à l’Album d’Auschwitz, une collection de photographies nazies que Lily Jacob, survivante d’Auschwitz, a trouvée dans une caserne SS abandonnée le jour de sa libération. Selon Yad Vashem, le Centre mondial de la Mémoire de l’Holocauste, l’album contient, parmi ses nombreuses images surprenantes, « la seule preuve photographique de l’arrivée de Juifs à Auschwitz ou dans tout autre camp de la mort ».
De nombreuses photographies de l’album figurent dans l’exposition du ROM. Mais pour Luis Ferreiro, le directeur général de Musealia, qui a été le premier à concevoir l’exposition, les photographies de l’album d’Auschwitz, ainsi que d’autres photos prises par les nazis, étaient insuffisantes. « Le point de vue du photographe est toujours présent », dit-il.
Un point de vue différent était nécessaire : des images qui émergeaient des expériences des prisonniers, et non pas « le prisme des auteurs ». Quelque chose, ajoute Ferreiro, qui « équilibrerait la toxicité des autres images ».
En l’absence de telles photographies, Ferreiro, le musée et mémorial d’Auschwitz-Birkenau et les commissaires de l’exposition se sont tournés vers l’art. Mais cela soulevait également un problème. « La plupart des survivants, explique le conservateur en chef, Robert Jan van Pelt (Ph.D.), ont créé des représentations fortement marquées par l’expressionnisme... ce qui vous obligent à tirer une conclusion. »
Ferreiro, van Pelt et les autres conservateurs étaient en quête d’un ton plus proche du journalisme. Dit van Pelt
Ferreiro, van Pelt et les autres conservateurs étaient en quête d’un ton plus proche du journalisme. Cela les conduits à Jan Komski. « Son approche est d’une grande précision, presque comme s’il observait et rapportait les faits en tant qu’observateur extérieur. », dit van Pelt.
Komski illustre une variété de scènes au sein du camp d’Auschwitz, allant du quotidien le plus ordinaire aux situations les plus tragiques. « Lorsqu’il montre la pendaison ou le passage à tabac d’une personne, il ne change pas son langage visuel », explique van Pelt. « C’est exactement la même chose. »
Cette cohérence, que poursuit van Pelt, est comme une ligne de basse dans un morceau de musique, qui guide doucement l’auditeur ou l'auditrice. Et dans le cas d’Auschwitz. Pas si longtemps. Pas si loin., cette cohérence est aussi un rappel que ces images ne sont pas des fantasmes ou des interprétations d’un artiste. Ce sont les souvenirs de Jan Komski.
Colin J. Fleming est stratège créatif principal en communications au ROM.
Colin J. Fleming est stratège créatif principal en communications au ROM.