Raptors, araignées et créatures fantastiques dans les espaces publics
Un entretien avec l’artiste de rue JUNKO sur la magie née de matériaux recyclés.
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Une créature étrange et merveilleuse hante le Musée royal de l’Ontario en ce week-end du jour de la Famille. Cette bête, qui ressemble à un vélociraptor doté de tendons métalliques et de manches violettes, semble sortie tout droit d’une suite futuriste de Jurassic Park… réalisée par Michael Bay. Ni « transformer », ni « raptor », le Recyclosaure est la dernière création de l’artiste de rue canadien dit JUNKO, qui fabrique de monumentales œuvres d’art public à partir de matériaux recyclés.
Qu’il s'agisse d’une araignée géante faite d’essuie-glaces usagés à Vancouver ou d’un monstre fantasmagorique fabriqué à partir de pièces de vélos Bixi dans une rue de Montréal, les créatures de JUNKO, stratégiquement installées dans leur environnement canadien, sont autant de déclarations sur notre rapport compliqué avec les notions de jetabilité et d’appartenance.
Le Recyclosaure est une œuvre commandée par les bien-aimés Raptors de Toronto en collaboration avec la société de gestion des déchets GFL Environmental Inc. Le géant métallique étant installé au ROM pour quatre jours, nous avons saisi l’occasion de nous entretenir avec JUNKO de ses impressionnantes créations et de leurs sources d’inspiration.
Interview
Vos sculptures sont empreintes de magie et de surréalité qui évoquent le domaine de l’imaginaire. Comment concevez-vous vos « créatures » ? Vous arrive-t-il de leur donner des surnoms ?
Cette fascination pour les créatures est en quelque sorte héréditaire. Mon père a une collection d’insectes dans des cadres qui sont accrochés au mur et mon oncle avait une collection de scorpions vivants dans son sous-sol.
Le premier mot que j’ai prononcé était « dinosaure », ce qui résume assez bien la situation. Enfants, ma sœur, mon cousin et moi passions beaucoup de temps à dessiner, à créer nos propres mondes fantastiques. Ce que je fais aujourd’hui s’inscrit donc dans la logique des choses.
J’ai toujours préféré créer que recréer. Je m’inspire de créatures ou d’animaux vivants, mais je n’essaie jamais d’en faire la réplique.
En général, je me contente de trouver un titre pour l’œuvre, qui devient parfois le nom de la créature. Pour ce projet avec les Raptors et GFL, l’œuvre porte le nom de Recyclosaure, mais la créature porte le nom de « Scarlet ».
Quand vous êtes mis à la sculpture monumentale ?
L’art a toujours fait partie de ma vie. J’ai commencé par dessiner des dinosaures et des créatures, puis j’ai réalisé des dessins, des peintures, des murales, de l’art de rue, etc. Mais toujours en deux dimensions. Jeune adulte, j’ai occupé pendant plusieurs années un emploi dans le secteur de la construction, ce qui m’a amené à délaisser l’art au profit de la construction « écologique » ou « durable ». Après avoir acquis une certaine expérience dans ce domaine, j’ai repris ma pratique artistique et, grâce aux compétences que j’avais acquises, mon art s’est naturellement transformé en travail tridimensionnel.
J’ai entrepris la sculpture au moment où la pandémie a commencé. Je me promenais et ramassais tous les objets mis au rebut que je pouvais trouver dans les rues et je voyais ce que je pouvais en faire. La première sculpture à grande échelle que j’ai réalisée se trouvait à l’extérieur de la ville. Je suis allé retrouver des amis artistes dans une usine abandonnée, loin de la ville, pour camper et créer des œuvres d’art parmi les ruines de l’usine. C’était la première fois que je visitais ce site et j’en suis resté bouche bée.
Il y avait d’énormes chambres en béton, toutes plus grandes qu’un terrain de basketball, entourées de hauts murs en béton et sans toit, ouvertes sur le ciel. En voyant l’endroit, j’ai su que je voulais y créer une sculpture, et pour rendre justice à ce lieu épique, il fallait qu'elle soit énorme.
J’ai passé le mois suivant à me rendre sur place, à camper dans la forêt voisine et à travailler sur une sculpture géante. Après avoir terminé cette sculpture, j'ai su que je tenais quelque chose de spécial.
Je ne ressens jamais le besoin d’acheter des pièces parce que je n’ai pas une vision exacte du produit final. Je réalise une ébauche de la sculpture, mais ce sont les matériaux que je trouve qui en dictent l’apparence. Ça ressemble davantage à un processus de découverte.
QA
Quel est votre processus de création ? Qu’est-ce qui vient en premier, l'idée ou les matériaux ? Ou encore le lieu ?
Pour mes installations urbaines, c’est le lieu. En général, je cherche des espaces délaissés, des espaces où les déchets et les détritus ont tendance à s’accumuler. Une fois l’endroit choisi, je commence à réfléchir et à visualiser une idée et la manière dont elle pourrait s’intégrer dans l’espace.
Mes matériaux sont en constante évolution. J’ai commencé par ramasser des déchets dans les rues, ce que je fais toujours, puis j’ai trouvé des sources d’approvisionnement pour certains déchets avec lesquels j'aime travailler. J’aime beaucoup les projets en collaboration avec des matériaux recyclés précis.
Il y a quelques années, j’ai réalisé un projet pour le festival MURAL de Montréal en collaboration avec BIXI, le système de vélos en libre-service de Montréal. On m’a demandé de créer une sculpture à partir de pièces de vélos irréparables.
Le projet Recyclosaure, une collaboration entre les Raptors et GFL Environmental, s’inscrit dans la même veine. Je me suis rendu dans une usine de recyclage de GFL où j’ai pu choisir parmi une variété de déchets. C’est génial parce que cela m’oblige à expérimenter de nouveaux matériaux et à essayer de nouvelles choses.
Est-il difficile de donner une nouvelle vie à des matériaux de récupération ?
Il m’arrive d’utiliser des matériaux neuf pour la structure interne de mes sculptures. L’étape la plus importante consiste à créer un squelette dont la structure est suffisamment solide pour supporter le poids de tous les objets et matériaux que je vais y ajouter.
La structure est un élément fondamental de l’œuvre. Si je ne réussit pas à trouver suffisamment de matériaux de récupération pour la construire, j’utilise du matériel neuf. Le matériel de fixation (vis, boulons, etc.) me permet de travailler avec une très grande variété de matériaux. Je suis un grand consommateur de quincaillerie.
En ce qui concerne les objets trouvés qui habillent la sculpture, la variété semble illimitée. Plus j’avance, plus je trouve des façons d’utiliser différents matériaux Je ne ressens jamais le besoin d’acheter des pièces parce que je n’ai pas une vision exacte du produit final. Je réalise une ébauche de la sculpture, mais ce sont les matériaux que je trouve qui en dictent l’apparence.
Une fois la structure interne achevée, la fixation des différentes pièces est improvisée et instinctive, ça ressemble davantage à un processus de découverte.
QA
Qu’est-ce qui vous fascine chez le Recyclosaure ?
Ce projet était intéressant parce que la sculpture s’inspire du raptor représenté dans le logo original des Raptors, qui lui s’inspirait des raptors du film Jurassic Park dont la sortie coïncidait avec la formation de l’équipe des Raptors. Les créatures du film étaient des représentations inexactes des vrais vélociraptors. En fin de compte, surtout après que j’y ai ajouté tout mon bric-à-brac de science-fiction, il ne ressemble en rien à un vrai vélociraptor, ce qu’il est censé être en théorie.
Les chaînes voyantes et les manches violettes de la sculpture font référence à la mode colorée et bruyante des années 90 qui a donné naissance à l’identité des Raptors.
Ce qui me passionne le plus, ce sont les nouveaux matériaux et les nouvelles techniques qui ont servi à sa création. Lors de ma première visite à l’usine de recyclage de GFL, j’ai sélectionné une variété de matériaux métalliques sans vraiment savoir lesquels j’allais utiliser et comment. Parmi les pièces que j’ai prises, il y avait quelques morceaux de conduits flexibles en aluminium. Je n’y ai pas prêté attention au début, mais une fois de retour à l’atelier, j’ai trouvé un moyen de les utiliser pour créer des sections de la sculpture qui ressemblent à des muscles ou à des tendons. Une fois que j’ai compris cela, je me suis précipité chez GFL pour m’approvisionner en ce seul matériau.
Une autre première pour moi a été l’utilisation de tissu. Bien qu'il ne s’agisse que d’une petite touche, l’impact des manches violettes est non négligeable. Elles se veulent un clin d’œil aux couleurs et aux maillots des Raptors de la vieille école.
L’utilisation du violet est une demande de l’équipe de création des Raptors. Elle m’a suggéré de peindre à la bombe certaines pièces de la sculpture. À mes débuts, j’avais l’habitude de peindre mes sculptures, mais j’ai rapidement abandonné l’utilisation de la peinture en aérosol, car elle contredit l’aspect écologique de l’œuvre. J’utilise maintenant des déchets qui ont déjà la couleur que je recherche, ce qui m’évite d’avoir à les peindre.
Trouver des objets violets et cool n’est pas facile. J’ai donc dû faire preuve de créativité et garder l’œil ouvert. Au cours d’une de mes excursions de collecte de déchets, je suis tombé sur une paire de pantalon de neige violet. Avant cette sculpture, je n’aurais jamais envisagé d’utiliser du tissu, mais comme je cherchais désespérément quelque chose de violet, j’ai réfléchi à la manière dont je pourrais utiliser le pantalon. En fin de compte, c’est l’un des éléments de la sculpture que je préfère.
La création de cette œuvre a été une expérience extrêmement significative pour moi. J’ai grandi ici, à Toronto. Le fait d’être invité à revenir dans ma ville natale pour un projet d’une telle envergure m’a permis de boucler la boucle et de renouer avec des personnes et des lieux de ma jeunesse. Collaborer avec les Raptors à la création d’une sculpture de dinosaure qui a été exposée au ROM est vraiment un projet de rêve pour moi en tant qu’artiste.
Qu’est-ce qui vous motive ? Pourquoi est-il important pour vous de créer de l’art ?
C’est une question difficile. La création artistique est l’aspect le plus important de ma vie. C’est donc presque une question d’existence. Pour faire court et simple, je fais de l’art parce que j’aime ça et que cela me satisfait. Depuis que je suis enfant, dessiner et créer me vient naturellement, et maintenant que je suis adulte, cela me donne un sentiment profond d’utilité et de fierté.
Lorsque je ne travaille pas dans un but précis, je commence à me sentir un peu perdu et incertain. Cela me met au défi physiquement et mentalement et m’oblige à continuer d’apprendre de nouvelles choses. C’est mon gagne-pain. Cela me donne l’occasion de voyager et de rencontrer de nouvelles personnes. Aujourd’hui, c’est aussi ma carrière et ce qui me soutient financièrement, ce qui me pousse à m’y consacret.
Ce qui m’inspire, c'est de progresser dans mon métier, de créer quelque chose et de réfléchir ensuite à ce que je pourrais faire différemment la prochaine fois.
La seule autre activité de ma vie qui, à mon avis, répond à autant de besoins humains fondamentaux est le skateboard. Tout comme ma pratique artistique, il maintient mon esprit et mon corps en bonne santé en me mettant au défi physiquement et mentalement et en m’offrant un cercle social et un sentiment d’appartenance à une communauté.
Le Recylosaure est exposé à la Samuel Hall Currelly Gallery à ROM, avec l'aimable autorisation de JUNKO, des Toronto Raptors et de GFL Environmental Inc.