Découverte d’un important chaînon manquant dans les schistes de Burgess

Des chercheurs repoussent l’âge d’une classe d’animaux de 200 millions d’années

Les schistes de Burgess, qui cachent des fossiles vieux de 505 millions d’années dans le parc national Yoho, au Canada, sont à nouveau le théâtre d’une découverte scientifique importante. Il s’agit cette fois du fossile d’une étrange créature en forme de phallus.

Un rapport d’étude publié en ligne le 13 mars dans la revue scientifique Nature vient confirmer que Spartobranchus tenuis appartient à la classe des vers à gland – des animaux rarement observés qui vivent aujourd’hui dans le sable fin et la boue d’eaux de profondeur variable. Les vers à gland, également appelés entéropneustes, font partie de l’embranchement des hémichordés, un groupe d’animaux marins étroitement apparentés aux étoiles de mer et aux oursins des temps modernes.

« Contrairement aux animaux pourvus de dents et d’os, ces créatures en forme de spaghettis avaient un corps mou, de sorte qu’ils ont rarement été fossilisés, explique le chercheur principal, Jean-Bernard Caron (Ph.D.), professeur agrégé d’écologie et de sciences de la Terre ainsi que de biologie évolutionniste à l’Université de Toronto et conservateur au Département de paléontologie des invertébrés du Musée royal de l’Ontario. Notre analyse de Spartobranchus tenuis, une créature jusqu’ici inconnue de la science, repousse de 200 millions d’années l’âge des premiers vers à gland et change radicalement notre perception de l’évolution au cours de cette période. »

Depuis leur découverte au XIXe siècle, les hémichordés ont surtout fait l’objet d’études sur leurs origines et sur les relations entre les entéropneustes et les ptérobranches, les deux grandes classes de cet embranchement. Les entéropneustes et les ptérobranches se ressemblent peu, mais ils partagent un grand nombre de caractéristiques génétiques et développementales qui témoignent de liens étroits par ailleurs inattendus.
Spartobranchus tenuis fossil
« Spartobranchus tenuis représente un chaînon manquant crucial qui sert non seulement à relier les deux classes d’hémichordés, mais aussi à expliquer une transformation évolutive importante, ajoute M. Caron. Notre étude nous amène à penser que, au fil de l’évolution, des entéropneustes primitifs se sont dotés d’une structure tubulaire qui existe encore de nos jours chez les ptérobranches. »

Les hémichordés ont aussi de nombreuses caractéristiques en commun avec les chordés – un groupe d’animaux englobant les humains. Le terme hémichordé pourrait d’ailleurs se traduire librement par « la moitié d’un chordé ».

Spartobranchus tenuis se nourrissait probablement de petites particules de matière au fond des océans. « La carrière de Walcott, dans le parc national Yoho, en recèle littéralement des milliers. Il est donc possible que Spartobranchus tenuis ait joué un rôle important dans le recyclage de la matière organique dans l’environnement des schistes de Burgess, un peu à l’image de l’écoservice fourni aujourd’hui par les vers de terre qui fouissent nos sols », précise M. Caron.

Une analyse détaillée permet de conclure que Spartobranchus tenuis était pourvu d’un corps souple formé d’un rostre court, d’un cou et d’un tronc élancé se terminant par une structure bulbeuse, qui pourrait avoir servi d’ancre. Les spécimens complets les plus gros qui ont été examinés par les chercheurs faisaient 10 cm de longueur, et le rostre mesurait environ un demi centimètre. Un fort pourcentage de ces vers étaient préservés dans des tubes, dont certains étaient ramifiés, ce qui laisse entrevoir qu’ils servaient d’abris.
Illustration of Spartobranchus tenuis
L’équipe chargée d’étudier Spartobranchus tenuis était également formée de Simon Conway Morris, de l’Université de Cambridge, et de Christopher B. Cameron, de l’Université de Montréal. L’an dernier, MM. Caron et Conway Morris ont publié les résultats d’une étude largement médiatisée sur Pikaia, une espèce qui, croit-on, figure parmi les premiers organismes apparentés aux humains.

Les gisements fossilifères des schistes de Burgess du parc national Yoho font partie du site du patrimoine mondial des parcs des montagnes Rocheuses canadiennes. Ils constituent l’un des gisements fossilifères les plus significatifs pour notre compréhension de l’origine et de l’évolution des premiers animaux pendant l’explosion cambrienne il y a 542 millions d’années. Pour en savoir davantage sur les schistes de Burgess, consultez le site www.burgess-shale.rom.on.ca