Cas rare de tumeur maligne diagnostiqué chez un dinosaure

TORONTO, le 4 août 2020 — Une étude menée en collaboration par le Musée royal de l’Ontario (ROM) et l’Université McMaster a débouché sur la découverte et le diagnostic, pour la première fois dans l’histoire, d’une forme agressive de cancer des os – un ostéosarcome — chez un dinosaure. Les tumeurs malignes (qui produisent des métastases dans l’organisme et ont de sérieuses répercussions sur la santé) sont rarissimes chez les fossiles. L’article relatant la découverte a été publié le 3 août 2020, dans la prestigieuse revue médicale The Lancet Oncology.

The fibula from a horned dinosaur, Centrosaurus apertus, showing osteosarcoma

L’os cancéreux est le péroné (partie inférieure de la patte) d’un Centrosaurus apertus, dinosaure à cornes ayant vécu il y a 76 à 77 millions d’années. On avait d’abord cru que l’extrémité difforme du fossile, découvert dans le Dinosaur Provincial Park (Alberta) en 1989, correspondait à la cicatrisation d’une fracture. Néanmoins, après avoir remarqué les caractéristiques inhabituelles de l’os lors d’une visite au Royal Tyrrell Museum, en 2017, David Evans (Ph.D.), titulaire de la chaire James et Louise Temerty en paléontologie des vertébrés du ROM, et ses collègues Mark Crowther (Ph.D.), professeur de pathologie et de médecine moléculaire, et Snezana Popovic (Ph.D.), ostéopathologiste, tous deux de l’Université McMaster, ont décidé de procéder à une analyse plus poussée en ayant recours à des techniques relevant de la médecine moderne. Ils ont donc réuni une équipe multidisciplinaire composée de spécialistes et de professionnels de la santé en pathologie, radiologie, chirurgie orthopédique et paléopathologie afin de réexaminer l’os comme on le ferait aujourd’hui pour diagnostiquer une tumeur d’origine inconnue chez un patient. « Diagnostiquer un cancer agressif comme celui-ci chez un dinosaure est une tâche ardue qui requiert une expertise en médecine et des analyses à de multiples niveaux, si on veut l’identifier correctement, explique M. Crowther, également membre du Cercle des bienfaiteurs royaux et bénévole au ROM. Or, nous avons devant nous la marque irréfutable d’un type évolué de cancer des os chez un dinosaure vieux de 76 millions d’années. C’est une première au monde. C’est passionnant ! »

Après une analyse méticuleuse, des recherches bibliographiques et le moulage de l’os, l’équipe a effectué une tomodensitométrie à ultra haute résolution (TAO). Ils ont ensuite découpé des tranches minces pour les examiner au microscope et évaluer l’état du tissu osseux au niveau cellulaire. Les puissants outils de reconstitution en trois dimensions du tomodensitomètre ont permis de visualiser l’évolution de la tumeur osseuse. Grâce à cette méthode précise, les enquêteurs ont pu prononcer un diagnostic : il s’agissait d’un ostéosarcome. Pour le confirmer, ils ont ensuite comparé le fossile au péroné normal d’un dinosaure de la même espèce et à celui d’un être humain auquel on avait diagnostiqué un ostéosarcome. Le fossile provient d’un dinosaure adulte, souffrant d’une forme avancée de cancer, qui s’est sans doute propagée à d’autres parties de l’organisme. Pourtant, il a été découvert dans un important gisement fossilifère, ce qui laisse supposer que l’animal faisait partie d’une harde de Centrosaurus, fauchés par une inondation.

« Le tibia présente les signes d’un cancer agressif parvenu à un stade avancé. Pareil cancer aurait eu des effets débilitants sur l’animal, qui serait devenu une proie extrêmement facile pour un formidable prédateur de l’époque comme le tyrannosaure, a déclaré M. Evans, une sommité en la matière. En vivant au sein d’un troupeau de dinosaures herbivores, ce qui le protégeait, il a sans doute survécu plus longtemps qu’il ne l’aurait fait normalement avec une maladie aussi terrible. » L’ostéosarcome est un cancer des os qui se manifeste habituellement durant la deuxième ou troisième décennie de la vie. Il s’agit en fait d’une prolifération excessive et désordonnée des cellules osseuses, qui se disséminent rapidement dans l’os où la tumeur a pris naissance avant de gagner d’autres organes, le plus souvent les poumons. Ce type de cancer est identique à celui qui a emporté l’athlète canadien Terry Fox et avait nécessité l’amputation partielle de sa jambe droite avant son héroïque marathon de l’espoir, en 1980.

« Qu’une équipe multidisciplinaire semblable à celles qui diagnostiquent et soignent l’ostéosarcome chez l’humain ait réussi à diagnostiquer pour la première fois un tel cancer chez un dinosaure est à la fois fascinant et motivant, a ajouté Seper Ekhtiari, interne en chirurgie orthopédique à l’Université McMaster. Cette découverte nous rappelle ce qui nous unit biologiquement au reste du règne animal et renforce la théorie que l’ostéosarcome a tendance à affecter les os quand ils sont au faîte de leur croissance. »

L’étude établira un nouveau standard pour le diagnostic des maladies encore peu connues chez les dinosaures fossilisés et ouvre la porte à des résultats plus précis et sûrs. Tracer un lien entre maladies humaines et maladies du passé aidera les scientifiques à mieux en comprendre l’évolution et la génétique. La preuve que de nombreuses maladies humaines affectaient aussi les dinosaures et d’autres animaux disparus pourrait sommeiller parmi les spécimens du Musée qui attendent d’être réexaminés au moyen de techniques modernes d’analyse.

David Evans a reçu pour ses travaux une subvention à la découverte du CRSNG. Les ordinateurs de recherche employés pour la visualisation 3D ont été généreusement offerts par la Fondation Dorothy Strelsin.

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