Après 175 ans, le mystère des fossiles de forme conique est résolu

Posted: 20 janvier 2017 à 18 h 11 , by Dominique Picouet
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Étudiant tenant des plaques de fossiles des Schistes de Burgess

Je m’appelle Joe Moysiuk, j’ai 20 ans et je suis étudiant de premier cycle dans deux départements : écologie et biologie évolutive ainsi que sciences de la Terre. Je suis heureux d’annoncer que la revue Nature a publié un article de recherche intitulé Hyoliths are Palaeozoic lophophorates, dont je suis l’auteur principal.  Nos recherches s’appuient surtout sur l’étude de fossiles récemment découverts, conservés dans les collections de paléontologie des invertébrés du ROM.

Une nouvelle branche de l’arbre du vivant

Depuis un an et demi, j’ai eu la chance de collaborer avec Martin R. Smith, de l’Université de Durham, et Jean‑Bernard Caron, du ROM. Nous avons effectué des recherches sur les hyolithes, un groupe d’organismes marins disparus de forme conique. Les hyolithes font partie des premiers animaux qui se sont dotés durant l’explosion cambrienne (ayant commencé voilà 542 millions d’années) d’un exosquelette minéralisé qui comprend des coquilles supérieure et inférieure ainsi que des épines courbées. La planète regorge de restes de leurs squelettes fossilisés qui prouvent que ces animaux ont existé pendant environ 280 millions d’années à l’ère paléozoïque; ils ont disparu environ 20 millions d’années avant l’apparition des premiers dinosaures. Même si nous disposons de très riches archives fossiles, nous savions peu de choses sur le classement des hyolithes dans l’arbre du vivant, et ce mystère paléontologique a duré pendant plus de 175 ans, lorsqu’on en a découvert. Dans notre article, mes coauteurs et moi-même présentons des fossiles d’hyolithes magnifiquement conservés, leurs tissus mous intacts, qui proviennent des schistes de Burgess. Les caractéristiques nouvellement décrites, en particulier la rangée de tentacules leur permettant de s’alimenter, révèlent une évolution surprenante entre les hyolithes et un groupe d’animaux appelé lophophores (dont les brachiopodes et les phoronides actuels). Pour en savoir plus sur les hyolithes et sur nos recherches, consultez notre communiqué.

Mon arrivée dans l’équipe de paléontologie au ROM

Très jeune, je me suis passionné pour la paléontologie, m’y intéressant dès que j’ai remarqué le nombre important de fossiles d’invertébrés marins gravés dans la roche des ravins de Toronto. Mes parents ont cultivé ma curiosité en me faisant participer souvent aux cliniques d’identification des roches, pierres, minéraux, fossiles et météorites du ROM, où des experts me renseignaient sur les fossiles que j’avais trouvés. Ces premières interactions avec des chercheurs en paléontologie des invertébrés du ROM, notamment les conservateurs adjoints David Rudkin et Janet Waddington (aujourd’hui retraités), m’ont poussé dès l’origine à poursuivre une carrière dans ce domaine, et montrent le rôle crucial que joue le Musée dans la sensibilisation du public et l’encouragement des jeunes chercheurs.

À l’école secondaire, j’ai participé à un programme coopératif avec le ROM et je me suis plongé dans les incroyables collections de fossiles d’invertébrés, travaillant étroitement avec le technicien Peter Fenton à des projets variés sur l’entretien de la collection et la recherche. Depuis, j’ai approfondi mes connaissances sur la paléontologie des invertébrés et les collections du ROM d’abord comme bénévole, puis comme employé contractuel et finalement comme chercheur étudiant. En tout, je participe depuis environ quatre ans et demi à la section de paléontologie des invertébrés du ROM.

Recherche aux schistes de Burgess

Par suite de mon travail au ROM, Jean-Bernard Caron, conservateur principal en paléontologie des invertébrés au ROM et spécialiste de l’explosion cambrienne et des fossiles des schistes de Burgess, m’a invité en 2014, comme bénévole, à me joindre à l’expédition d’été dans ce gisement fossilifère des Rocheuses, en Colombie-Britannique, de renommée mondiale. Ce qui rend les schistes de Burgess exceptionnels, c’est l’état de conservation des tissus mous de ces animaux marins, qui vivaient il y a près de 508 millions d’années (consultez la page Web des schistes de Burgess du ROM pour vous renseigner sur cet incroyable trésor). L’expédition de 2014 nous a conduit au canyon Marble qui venait d’être découvert, à environ 40 kilomètres du site original des schistes de Burgess, dans le parc national Kootenay.  Dans son blogue (en anglais), M. Caron vous parle de la découverte du canyon Marble.

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Panneau d’information de Parcs Canada au départ du sentier du canyon Marble.

Au canyon Marble, nous avons creusé une carrière pour accéder aux couches les plus riches en schistes fossilisés, poursuivant le travail amorcé en 2012. La roche ne livre pas facilement ses secrets, mais l’effort est largement récompensé. Compte tenu de l’incroyable profusion de fossiles au canyon Marble, on peut y trouver, les jours fastes, des centaines de spécimens. En outre, il arrive souvent qu’on fasse des découvertes extraordinaires qui révèlent de nouveaux aspects d’organismes disparus, voire qu’on mette au jour une toute nouvelle espèce. Ouvrir un morceau de schiste contenant un fossile datant de 508 millions d’années, probablement jamais vu auparavant, suscite un sentiment extraordinaire et une envie irrésistible de continuer. Cette atmosphère exaltée, tout comme le magnifique paysage montagneux du parc national Kootenay, m’ont incité à retourner au canyon Marble avec Jean-Bernard Caron pour y faire des fouilles en 2015 et 2016.

Les multiples découvertes spectaculaires qui ont déjà donné lieu à des publications sur les fossiles trouvés au canyon Marble ne constituent que la pointe de l’iceberg; il reste encore plusieurs années de travail à accomplir. Les pages suivantes décrivent en détail la recherche effectuée au canyon Marble : Metaspriggina; Yawunik; Oesia (en anglais);  Surusicaris (en anglais).

Joe et Jean-Bernard

Au printemps dernier, j’ai terminé un projet crédité d’un an sous la direction de M. Caron, dans le cadre du programme de recherches indépendantes de l’Université de Toronto (EEB 299). J’ai choisi d’étudier les fossiles d’hyolithes, en particulier les nouveaux spécimens que j’ai aidé à recueillir.  Au début d, j’aspirais à présenter les résultats dans un article revu par des pairs, en collaboration avec Jean-Bernard Caron et Martin Smith. Pendant un an, j’ai examiné les fossiles d’hyolithes du ROM (plus de 1 500). Ce travail inclut la préparation manuelle de certains spécimens, tâche délicate qui exige d’observer le fossile au microscope tout en utilisant un burin pneumatique pour en dégager les parties encore enfouies dans la roche. Le chercheur doit ainsi examiner les plus petits détails conservés. M. Caron m’a également enseigné les techniques de microscopie optique et électronique utilisées pour observer les fossiles.

Fossiles d'hyolithe vus au microscope optique

J’ai eu le privilège de recevoir l’aide de Sharon Lackie, de l’Université de Windsor, qui a cartographié la répartition des éléments de nos fossiles d’hyolithes. AU ROM, j’ai pu aussi collaborer avec Danielle Dufault, une paléo-artiste de talent qui a réalisé d’incroyables reconstitutions d’hyolithes. À la fin de mon projet, j’ai ébauché un manuscrit qui a servi de base à notre article. J’ai passé le plus clair de l’été et de l’automne à le parfaire, avec Jean-Bernard Caron et Martin Smith, pour le présenter et, après examen par des pairs, le publier.

Reconstitution d’un hyolithe par Danielle Dufault © Musée royal de l’Ontario

Les prochaines étapes

En décembre, j’ai présenté nos nouvelles découvertes sur l’hyolithe à la rencontre anuelle de l’Association britannique des paléontologues qui s’est tenue à Lyon, en France. J’ai reçu le prix de la meilleure affiche pour cette étude, que je ferai connaître au public en février, lors du colloque de recherche du ROM (consultez bientôt le site Web du ROM pour avoir plus de détails). J’ai hâte de faire plus largement connaître nos fascinantes découvertes dans les prochains mois!

J’ai eu la grande chance de pouvoir maintes fois cultiver mon intérêt pour la paléontologie des invertébrés, mais je ne suis pas le seul à avoir tiré parti de ces interactions avec le personnel du ROM. M. Caron a dirigé plusieurs étudiants du premier et du second cycle de l’Université de Toronto (incluant mon coauteur, M. Smith, voilà plusieurs années). Le professionnalisme de haut rang, l’enthousiasme et le savoir-faire de calibre mondial dont font preuve M. Caron et mes collègues étudiants travaillant dans son laboratoire au ROM sont des plus inspirants. Je me réjouis de poursuivre ma collaboration avec le ROM, puisque je commence un nouveau projet avec M. Caron sur un autre groupe de fascinants fossiles du canyon Marble.

Le ROM prépare un projet stimulant, la future Galerie de l’aube de la vie, qui présentera au public une collection exceptionnelle de fossiles ainsi que des découvertes de chercheurs menées au Canada et dans le monde, des débuts de la vie sur Terre jusqu’à l’apparition des dinosaures. Mes collègues et moi‑même préparons un chapitre de cette longue histoire, et j’espère que nous contribuerons ainsi à l’aménagement de la meilleure galerie qui existe dans ce domaine et à inspirer la prochaine génération de paléontologues.

Galerie de l'aube de la vie

Depuis plusieurs années, j’ai pour objectif à long terme de publier un article de recherche, et je suis très heureux que le projet sur les hyolithes aboutisse à une publication. Je remercie tous ceux qui m’ont aidé : mes coauteurs, mes collaborateurs, le ROM et l’Université de Toronto (le collège Victoria et les départements d’EBE et de ST) ont facilité mes recherches; ma famille, mes amis et mes professeurs m’ont appuyé et ont nourri ma passion au fil des ans; le CRSNG (par l’entremise de M. Caron), l’Association des étudiants en arts et en sciences de l’Université de Toronto et l’Association britannique des paléontologues ont financé mon voyage et m’ont permis de participer au congrès.