La découverte d’un « cercle de dents » dévoile l’anatomie de l’ancêtre des ecdysozoaires

Une nouvelle analyse de l’un des fossiles les plus bizarres qu’on ait découverts a établi
son orientation antéropostérieure et révélé un cercle de dents jusqu’ici passé inaperçu, ce qui devrait
permettre de répondre à certaines questions entourant les premiers animaux qui muent
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Hallucigenia sparsa (Musée royal de l’Ontario 61513), spécimen de 15 mm provenant des schistes de Burgess
© Jean-Bernard Caron. Reconstitution d’Hallucigenia sparsa © Danielle Dufault

Une nouvelle étude portant sur un animal très bizarre qui a vécu il y a 500 millions d’années – un organisme vermiforme doté de pattes, de piquants et d’une tête ressemblant étrangement à sa queue – a permis d’en identifier la tête avec certitude, révélant un cercle de dents et une paire d’yeux simples jusqu’ici insoupçonnés. Publiés aujourd’hui dans la revue scientifique Nature, les résultats de l’étude ont contribué à la possible reconstitution de l’ancêtre commun d’une étonnante diversité d’animaux allant des minuscules nématodes (ou « vers ronds ») à d’énormes homards.

Des chercheurs de l’Université de Cambridge, du Musée Royal de l’Ontario (ROM) et de l’Université de Toronto ont découvert que l’animal, baptisé Hallucigenia en raison de son apparence bizarre, avait une gorge garnie de dents semblables à des aiguilles, une caractéristique jusqu’ici inconnue qui permettrait de l’apparenter aux onychophores (ou « vers de velours ») et aux arthropodes, un embranchement qui comprend les insectes, les araignées et les crustacés modernes.

Les arthropodes, les onychophores et les tardigrades (ou « ours d’eau ») appartiennent tous au grand groupe des ecdysozoaires ou « animaux qui muent ». Hallucigenia n’est pas l’ancêtre de tous les ecdysozoaires, mais le précurseur des onychophores. La découverte de l’appareil buccal d’Hallucigenia a permis aux scientifiques d’affirmer qu’à l’origine les onychophores possédaient la même caractéristique, qui a disparu au cours de leur évolution.

« Les débuts de l’évolution des espèces de cet énorme groupe sont largement inexplorés, affirme Martin Smith, chercheur postdoctoral au Département des sciences de la terre de l’Université de Cambridge et auteur principal de l’article. Mise à part la mue, ces animaux ne semblent pas avoir beaucoup de caractéristiques physiques en commun. »

« Il s’avère que, sur le plan anatomique, les ancêtres des ecdysozoaires étaient beaucoup plus développés qu’on ne le croyait : imaginez des vers annelés, dotés de plaques, d’une gorge cuirassée et d’une bouche entourée de piquants, déclare Jean-Bernard Caron, conservateur de paléontologie des invertébrés au Musée royal de l’Ontario et professeur adjoint en sciences de la terre, écologie et biologie évolutive à l’Université de Toronto. Jusqu’ici on croyait que les onychophores et leurs ancêtres étaient privés de dents. Hallucigenia nous apprend que leurs ancêtres avaient en fait des dents et qu’ils les ont perdues en cours d’évolution. »

Hallucigenia n’est qu’un des animaux insolites à avoir vécu durant l’explosion du Cambrien, un événement évolutif sans précédent qui a débuté il y environ 500 millions d’années, au moment où la plupart des principaux groupes d’animaux ont fait leur apparition dans le registre fossile.

Pour les paléontologues, Hallucigenia tenait de l’énigme. Au moment de son identification dans les années 1970, l’organisme a été reconstitué en sens inverse et à l’envers : les piquants de son dos ont été assimilés à des pattes, les pattes à des tentacules et la tête à la queue.

À l’endroit et dans le bon sens, Hallucigenia n’en demeure pas moins étrange. Il était doté de paires de longs piquants sur le dos, de sept paires de pattes se terminant par des griffes et de trois paires de tentacules sur le cou. Il mesurait entre 10 et 50 millimètres de long et vivait dans les fonds marins du Cambrien.

Plus important encore, l’aspect bizarre d’Hallucigenia empêchait de l’associer à des groupes d’animaux modernes et de le situer sur l’arbre phylogénétique. En 2014, les chercheurs de l’Université de Cambridge ont en partie résolu le problème en étudiant la structure des griffes d’Hallucigenia, ce qui a permis de l’apparenter indéniablement aux onychophores modernes.

Pour cette étude, les chercheurs ont utilisé le microscope électronique afin d’examiner les fossiles des collections du Musée royal de l’Ontario et du Smithsonian. Ils ont ainsi établi l’orientation antéropostérieure d’Hallucigenia et observé des caractéristiques surprenantes.

« Avant notre étude, il y avait encore des doutes quant à l’emplacement de la tête et de la queue, précise Smith. Nous sommes maintenant en mesure d’affirmer que la forme bulbeuse initialement considérée comme la tête est en fait une tache noire représentant un liquide organique ou le contenu de l’intestin excrété lors de l’écrasement dû à l’enfouissement de l’animal. »

L’identification de la queue a incité Caron à réexaminer les fossiles et à retirer la couche sédimentaire qui recouvrait l’autre extrémité, la tête. Les animaux ayant été enfouis par une coulée de boue, leur tête molle se retrouvait souvent orientée vers le bas. « Nous avons pu obtenir de nouvelles images de la tête, déclare Caron. Nous avons placé les spécimens sous des microscopes électroniques dans l’espoir de trouver des yeux... et nous avons eu la surprise de voir des fossiles souriant à pleines dents! »

Les nouvelles images montrent une tête allongée dotée d’une paire d’yeux simples au-dessus d’une bouche cernée de dents. De plus, la gorge d’Hallucigenia est garnie de dents en forme d’aiguilles. Les fossiles ont été découverts dans les schistes de Burgess du parc national Yoho, dans l’ouest du Canada, un des gisements fossilifères du Cambrien les plus riches au monde.

Le cercle de dents d’Hallucigenia agissait probablement d’organe de succion, comme une soupape ou une ventouse, permettant à l’animal d’aspirer sa nourriture. Selon les chercheurs, les dents dans la gorge empêchaient la nourriture de ressortir lorsque l’animal prenait une autre « bouchée ».

« Ces dents rappellent celles que nous voyons chez de nombreux ecdysozoaires primitifs, ce qui semble indiquer qu’un ancêtre commun possédait également une gorge garnie de dents, affirme Caron. Jusqu’à aujourd’hui, rien ne donnait à penser que les bouches des arthropodes et des animaux comme les priapuliens (ou « vers pénis ») se ressemblaient. Hallucigenia nous apprend donc que les ancêtres des arthropodes et des onychophores avaient des plaques buccales et des gorges garnies de dents, qui ont disparu ou se sont simplifiées au fil du temps. »

Prélevés entre 1992 et 2000, les fossiles ayant servi à cette étude représentent plus de 165 spécimens additionnels d’Hallucigenia, y compris de nombreux spécimens bien conservés et des axes d’orientation rares.

Les gisements des schistes de Burgess dans les parcs nationaux Yoho et Kootenay sont gérés par Parcs Canada. Le ministère est ravi de partager cette nouvelle page de l’histoire en constante évolution des schistes de Burgess avec leurs visiteurs.

Les travaux de recherche ont été subventionnés par Clare College, Cambridge, le Conseil de recherches en sciences naturelles et en génie du Canada ainsi que le Musée royal de l’Ontario.

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Marnie Peters/Jesika Arseneau
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marniep@rom.on.ca/jesikaa@rom.on.ca

Article :
Smith, Martin R. et Caron, Jean-Bernard, « Hallucigenia’s head and pharyngeal armature of early ecdysozoans », Nature (2015), http://www.nature.com/nature/journal/vaop/ncurrent/full/nature14573.html